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chef protectioniste. Lord George Bentinck se précipita aussitôt dans la mêlée avec son impétuosité ordinaire, et assena sur la tête du ministère cette violente déclaration de guerre : « Plus tôt nous aurons renversé les ministres, et mieux ce sera pour tous les partis. J’espère bien que lorsque les ministres se seront vus battus sur cette question, ils penseront qu’il est temps enfin de se retirer. Le très honorable baronnet qui est à la tête du gouvernement avait autrefois l’habitude de nous dire qu’il ne consentirait jamais à être ministre par tolérance. Il faut qu’il soit sourd à tout ce qui se passe autour de lui, s’il ne convient pas qu’il n’est plus lui-même que ce qu’il appelait autrefois un ministre de tolérance. (Bruyans applaudissemens.) Il mendie tour à tour l’appui de chacun des deux côtés de la chambre, un jour appelant l’aide des membres de l’opposition, l’autre jour implorant le secours de mes amis. (Applaudissemens.) Il n’a la confiance de personne, et n’a d’appui assuré que celui que lui prêtent le corps de ses vaillans janissaires (les membres de l’administration) et quelque soixantedix renégats, dont la moitié rougissent des votes qu’ils lui accordent. (Applaudissemens et rires.) Puisque telle est la position du gouvernement, position si bien méritée, c’est le moment d’en finir. »

Cette franche et gaillarde brutalité fit hurler les blessés et passionna d’une façon extraordinaire les dernières scènes de la lutte. Lord George Bentinck rappela avec une poignante amertume le souvenir de Canning, son parent et son maître. Les derniers momens de Canning avaient été empoisonnés, dit-on, par l’opposition injuste et sourde que lui fit sir Robert Peel. Lord George Bentinck semblait accomplir une vendetta. Ces récriminations inspirèrent à M. Disraeli la péroraison du discours qu’il prononça en venant à la rescousse de lord George Bentinck. « Je ne suis point surpris, dit-il, que mon noble ami, étroitement lié avec M. Canning, se soit exprimé comme il l’a fait. Les sentimens auxquels il a donné cours sont partagés par tous ceux qui ont été en rapport avec M. Canning. Je n’ai vu M. Canning qu’une fois, lorsque je n’avais encore aucune espérance d’être membre de cette chambre ; mais je me souviens comme d’hier du jour où j’entendis les derniers accens, je pourrais dire la voix mourante de cet homme illustre ; je me rappelle l’éclair, l’éblouissant éclair de ce regard et la puissance de ce front impérial. Mais quand verrons-nous encore un autre Canning, un homme qui menait cette chambre comme un coursier de noble sang, comme Alexandre conduisait Bucéphale (on rit), dont on disait qu’on ne savait lequel était le plus fier du cheval ou du cavalier ? Je remercie l’honorable membre qui a souri. Les pulsations du cœur national ne sont plus aussi hautes qu’autrefois. Je sais que le tempérament de cette chambre a perdu son feu et sa bravoure, et je n’en suis point surpris, « puisque le vautour domine où l’aigle régna autrefois. » Le