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très honorable baronnet disait jadis que l’Irlande était sa grande difficulté. Je lui demande pourquoi l’Irlande a été sa grande difficulté, et s’il en eût été de même si en 1825 il avait été loyal envers M. Canning ? Mais en ce moment, où nous sommes à la veille de donner, sur une question irlandaise, un vote qui peut être fatal à la durée de sa puissance, — il doit sentir que c’est une Némésis qui dictera ce vote, qui prononcera l’arrêt, et qui va marquer d’un sceau irrévocable la catastrophe de sa carrière. »

Ces violentes personnalités eurent un moment l’air de servir la cause du ministre. De prétendus sages, d’habiles modérés, comme on en trouve dans tous les partis, étaient disposés, puisqu’enfin l’abrogation des corn-laws était un fait accompli, à entrer en accommodement avec le cabinet. Ces prudes blâmèrent hautement les emportemens passionnés des chefs protectionistes. On les voyait, à la fin de ces brûlantes séances, allumer leurs cigares et sortir de la chambre, bras dessus bras dessous, avec les janissaires et les renégats flagellés par lord George Bentinck. Le ministère exploita ces dispositions qui lui rendirent la confiance. De concert avec quelques meneurs occultes de l’ancien parti tory, on noua une intrigue, et l’on prépara un coup de théâtre dont on attendait un grand effet pour le dernier jour de la discussion. Le fils du duc de Buckingham, un des influens protectionistes de l’aristocratie, le marquis de Chandos, jeune homme de vingt et un ans à peine, venait d’entrer à la chambre des communes. On obtint du duc que son fils ferait un discours en faveur du ministère ; on se croyait sûr que cette manifestation détacherait de lord George Bentinck un grand nombre de tories. La scène fut exécutée comme elle avait été convenue. La discussion allait finir ; M. Shiel, le grand orateur irlandais, venait de prononcer le dernier discours qu’il ait fait entendre dans la chambre des communes. Il était plus de minuit. À l’heure où les hommes d’état ne prennent pas la parole sans hésitation, dans un moment où allait se décider, au milieu d’une impatience fiévreuse, la destinée du premier politique de l’Angleterre, sur le banc le plus élevé de la section où siégeaient les protectionistes, on vit se lever un pâle jeune homme : c’était le marquis de Chandos. Le patricien adolescent prononça, d’un ton simple et ferme, son premier discours, son discours-vierge, comme disent les Anglais, qui était en même temps le manifeste d’une portion de l’aristocratie et le dernier espoir d’un ministère autrefois si fort. Les ministres et leurs amis applaudirent vivement le marquis de Chandos. La division eut lieu. Le bruit se répandit vite que le cabinet était battu par 73 voix de majorité ; un murmure d’incrédulité courut, à cette nouvelle, sur le banc des ministres. « On dit que nous sommes battus par 73 voix ! » chuchota sir James Graham à sir Robert Peel. Sir Robert Peel ne prononça