Page:Revue des Deux Mondes - 1852 - tome 13.djvu/886

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

là ce que vous entendiez m’offrir… Vous dites que j’ai accepté ; vous, avez encore raison. Vous pourriez ajouter, sans vous tromper davantage, que si, dans cette journée fatale, à l’heure où la tentation se trouva la plus forte, vous fussiez venu à moi, j’étais perdue sans retour… Mais ne regrettez point que ceci n’ait pas été. Sachezm ’aimer assez pour ne pas le regretter. Remerciez au contraire le ciel d’être venu en aide à ma faiblesse… »

Avant que ces lignes eussent passé sous les yeux de David Stuart, il avait compris lui-même qu’il devait une réparation à la pauvre femme dont il avait, dans un premier dépit, méconnu la tendresse et la généreuse abnégation. Une seconde lettre de lui, tracée peu d’heures après la première, était venue atténuer l’effet de celle-ci : il acceptait la séparation éternelle à laquelle son amie les condamnait tous deux ; il déplorait, sans en accuser personne que lui-même, cette fatalité qui, deux fois, l’éloignait d’Eleanor, deux fois lui enlevait l’idéal de l’amour, l’idéal de la perfection. Vivre en paix, prier pour lui, David Stuart ne demandait rien de plus à sa chère et charmante pupille…

Eleanor avait renoncé à l’idée du divorce ; elle était inébranlable dans celle d’une séparation définitive, et ne voulait plus, à aucun prix, sous aucune condition, retourner auprès de sir Stephen. Il fallut donc essayer un arrangement sur ces bases, et Godfrey Marsden s’en chargea ; mais les lois anglaises lui laissaient peu de ressources, et sir Stephen n’accordait presque rien au-delà : sa femme l’avait quitté, disait-il, sans y être autorisée ; il n’était nullement disposé à se séparer d’elle. Ayant égard aux circonstances dans lesquelles elle s’était éloignée, et à l’état de santé fort précaire où Godfrey l’assurait qu’elle était réduite, il consentait à lui faire, pour le présent, une pension suffisante à ses besoins ; mais si, sa santé une fois rétablie, elle ne retournait pas auprès de lui, il menaçait de faire intervenir la justice pour obtenir qu’Eleanor revînt à Penrhyn-Castle. Et enfin, si elle méconnaissait les ordres de son mari, ses droits reconnus par les tribunaux du pays, sir Stephen, dégagé de toute obligation envers elle, cesserait de pourvoir, en aucune manière, aux nécessités de sa vie.

Rendons à Marsden cette justice, qu’il s’indigna de tant de rigueur ; mais son indignation, dont s’émurent assez peu les attorneys et gens de loi chargés par sir Stephen de débattre cette affaire, n’aboutit qu’à obtenir une légère augmentation de la pension offerte par ce mari impérieux ; il fut aussi convenu que cette pension serait servie pendant un terme fixe de deux années. Eleanor accepta ce répit comme elle acceptait, depuis son arrivée chez son frère, tout ce qui pouvait survenir, — comme elle acceptait ses âpres censures, — l’autorité qu’il s’attribuait sur elle, — les soupçons blessans qu’il lui témoignait parfois, — et les brusques allusions qu’il faisait, soit à la « dégradation »