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les injustes accusations de Godfrey, ni par ses dures paroles, ni même par le mépris dont il accablait David Stuart, — peu soucieux de froisser chez sa sœur les plus intimes, les plus profondes susceptibilités ! Noblement résignée, elle fit mieux encore : elle accepta l’hospitalité que Godfrey lui offrait auprès de sa femme, bien que cette offre n’eût rien de très séduisant en elle-même, et qu’elle n’empruntât aucun attrait à la brusque franchise avec laquelle Godfrey déclarait agir en ceci bien plus pour la mémoire de leur mère que par affection ou dévouement pour Eleanor.

La raison l’emportait donc, ou, — plutôt encore que la raison, — l’empire des idées acquises, l’influence de l’éducation, le sentiment du devoir, le respect de la foi jurée, le poids du serment consacré par les dépositaires de l’autorité divine. Tout cela eût-il suffi, si David Stuart, n’écoutant que son amour, fût accouru près d’Eleanor alors qu’elle quittait, pour lui obéir, un époux infidèle, une maison où elle avait été abreuvée d’outrages ? Hélas ! Eleanor elle-même, dans la sincérité de son ame, n’osait pas s’en flatter.

Une première lettre de son tuteur, lettre de reproches amers, violens, injustes, qui arracha des larmes à ses paupières taries, obtint une réponse où cet aveu lui échappait :

« Vous me dites que je ne vous aimais point… Ah ! ne m’enseignez pas la triste science des récriminations poignantes. Vous m’avez aimée, vous, depuis que vous avez eu le temps de songer à moi ; mais moi, c’est depuis mon enfance que je vous aime. Votre amour pour moi fut une pensée entre mille autres ; mon amour pour vous a été le lien de toutes mes pensées depuis que je me connais. Vous supposez peut-être que l’amour est impossible à des êtres séparés pour jamais ; vous supposez alors que je n’ai pas chéri votre mémoire pendant ces longues années où je vous croyais mort, et que vous avez passées en Amérique ? Ah ! sachez-le donc, par-dessus toute réalité présente, actuelle, j’ai adoré le cher rêve de ce passé perdu qui avait mêlé pour un temps nos existences. Pendant les années que nous avons vécu ensemble, lectures, études, méditations, tout se rapportait à vous, à celui que je regardais comme ne devant jamais me quitter. Dans les années qui suivirent votre perte, ce fut en souvenir de vous que je continuai à lire, à étudier, à réfléchir. Une page marquée par vous, un trait de votre crayon à la marge d’un de mes livres, rien sous le ciel ne réjouissait autant mes yeux

« Et je vous aime encore, cher David Stuart. Le bonheur, non l’amour, s’en est allé ; le bonheur, qui jamais ne me fut destiné, je le crains bien. Vous dites que j’avais bien compris la lettre où vous m’engagez à quitter Penrhyn-Castle : vous avez raison ; j’y attachais le même sens que vous. Une fois libre, être votre femme, c’est bien