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La race eut sur lui plus d’influence que le climat et le sol. Né de la civilisation, mais élevé au milieu de la barbarie, M. de Saint-Priest appartint dès le premier jour au monde civilisé. Les premières qualités qui se développèrent en lui furent les qualités sociales par excellence. Il regardait, il observait, à l’âge où tant d’autres ne font que voir et sentir. Il formait des jugemens fins à cette époque de la vie où, chez la plupart, l’imagination se trouble par la vivacité même des impressions dont elle s’anime. Lisez le récit qu’il écrivait vingt ans après de cette administration sage et curieuse du duc de Richelieu à Odessa. Dans le tableau des lieux et des hommes qu’il avait connus tout enfant, vous ne trouverez aucune trace des confuses impressions de la jeunesse. Ce sont les jugemens d’un esprit mûr et les remarques d’un spectateur intelligent. La nature matérielle (qu’il sait pourtant décrire d’un trait précis et courant), toute riche qu’elle soit sur ces côtes fertiles de la mer Noire, ne touche que médiocrement l’écrivain. Il avoue qu’il avait besoin, pour s’arrêter avec complaisance sur l’amphithéâtre imposant qui enferme l’ancienne Tauride, d’évoquer à l’instant les souvenirs classiques d’Iphigénie et de Mithridate, et de peupler le désert au moins des fantômes de la fable et de l’histoire. Mais que, sur cette plage et dans cette ville qui ressemble à un camp plus qu’à une cité, apparaisse tout d’un coup une véritable princesse d’Occident, une fille d’Autriche, une sœur de Marie-Antoinette, la reine Caroline de Naples, se rendant de Palerme à Vienne par Constantinople, pour éviter les longs bras du maître de l’Europe, à l’instant la scène s’anime ; on dirait que le jeune observateur de dix ans a ouvert ce jour-là ses yeux plus que de coutume, pour ne rien perdre de cette procession d’un autre monde. Rien n’est mieux peint que les vives conversations de la reine pendant les longues heures de voyage que le père de M. de Saint-Priest passa dans sa compagnie. Le laisser-aller d’une vie d’aventures et des habitudes italiennes qui n’ôtaient rien à la dignité royale, les souvenirs abondans, les récits pleins de feu, les sarcasmes pleins de verve, interrompus par l’adhésion cérémonieuse et burlesque d’une vieille dame d’honneur, tout, jusqu’aux misères de ce cortége royal et fugitif, s’était gravé dans cette jeune tête avec le relief du drame de l’histoire.

De tels instincts appelaient rapidement Alexis de Saint-Priest vers le théâtre où se jouent depuis tant d’années les grandes scènes tragiques ou comiques de l’histoire européenne. La restauration rendit à son père une patrie et l’appela à la chambre des pairs. Alexis le rejoignit, à peine âgé de dix-sept ans, en 1822. Il arriva à Paris dans un de ces momens de calme qui faisaient concevoir à la France l’espoir que la monarchie donnerait quelque durée aux bienfaits de la liberté. Par sa naissance, par le mariage brillant qu’il contracta de très bonne heure, il se trouvait placé naturellement dans la société formée des