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exclusive ni d’esprit de parti dans une histoire de 1250 ; mais il faut se rappeler que M. de Saint-Priest écrivait au lendemain du XVIIIe siècle et dans la pleine réaction du XIXe, qu’il avait lu l’Essai sur les Mœurs dans sa jeunesse, et qu’il assistait à une réhabilitation enthousiaste du moyen-âge, faite de compte à demi par une ferveur religieuse sincère et par un caprice de mode un peu frivole. Après avoir traité long-temps d’oppresseurs ignorans les pontifes éclairés qui furent les défenseurs de la liberté spirituelle du monde, saint Thomas de petit esprit et Dante de poète burlesque, on s’était avisé tout d’un coup de nous enseigner avec gravité à considérer le XIIIe siècle comme le point de perfection de la civilisation chrétienne et presque l’avènement du règne de Dieu en ce monde. La prépondérance temporelle de l’église catholique à cette époque donnait une apparence pieuse à cette opinion, que relevait aussi, sans qu’on s’en doutât, l’attrait piquant du paradoxe. M. de Saint-Priest savait être piquant sans être paradoxal. C’était peut-être un de ses traits les plus remarquables, que de savoir trouver l’originalité sans s’éloigner du bon sens, de ne point chercher l’intérêt dans la surprise et d’innover sans étonner. Sans crainte de paraître fade ou d’être accusé d’être tiède, il se pose dès la première page pour un appréciateur modéré de ces temps si vivement controversés du moyen-âge.

« A la tête des personnages de ce grand drame, disait-il, il en est un plus grand que tous les autres, la papauté. Entre les deux écoles historiques dont l’une n’a voulu voir dans les papes du moyen-âge que les tyrans de la volonté et de la pensée, tandis que l’autre applaudit toujours en eux les défenseurs de la liberté humaine, dont l’une a trop facilement trouvé du sang sur le manteau pontifical quand l’autre n’y a jamais aperçu un grain de poussière, je me suis frayé une route à la fois respectueuse et libre. J’ai rendu hommage à l’élévation presque constante du but, j’ai déploré le choix moins irréprochable des moyens ; surtout je n’ai jamais perdu de vue les temps dont je racontais les passions et les violences. Ainsi que la monarchie, l’aristocratie et le peuple, la papauté participait de la rudesse d’une telle époque. Nul ne peut échapper à son siècle ; même en le combattant, on reçoit et on garde son empreinte. La défense était alors inexorable comme l’attaque… Ceints du diadème ou de la tiare, couverts de l’étole ou de l’armure, les hommes du XIIIe siècle étaient ceux qu’a peints Dante et après lui Michel-Ange. Dans les ténèbres de la chapelle Sixtine, on découvre au-dessus de l’autel toute une population aux regards féroces aux attitudes convulsives, et on se demande : Où sont les justes ? où sont les damnés ? »

En écrivant ce morceau brillant (où nous remarquons à regret quelques taches), nous ne savons si M. de Saint-Priest se faisait pour