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qu’il avait avec les Visigoths une querelle dont il l’invitait à ne se point mêler. « Les Visigoths, disait-il, étaient des sujets échappés à la domination des Huns, mais sur lesquels ceux-ci n’avaient point abandonné leurs droits. D’ailleurs n’étaient-ils pas aussi pour l’empire des ennemis dangereux ? Après avoir rempli l’Orient et l’Occident de leurs pillages, observaient-ils fidèlement leurs obligations dans les cantonnemens qu’ils tenaient de la munificence des Romains ? Loin de là, ils vivaient à leur égard dans un état de guerre perpétuelle. Attila se chargeait de les châtier au nom des Romains comme au sien. » Valentinien eut beau lui faire observer qu’il n’était point en guerre avec les Visigoths, et que, s’il y était, il ne chargerait personne de sa vengeance ; que les Visigoths vivant en Gaule sous l’abri de l’hospitalité romaine, vouloir les attaquer, c’était attaquer l’empire, et qu’enfin Attila n’arriverait point jusqu’à eux sans bouleverser de fond en comble les états d’un prince dont il se disait le serviteur. Le roi hun n’en fit pas moins à sa guise, et déclara qu’il allait partir ; mais, en même temps qu’il tâchait d’endormir Valentinien par des flatteries, il mandait à Théodoric de ne se point inquiéter, qu’il n’entrait en Gaule que pour briser le joug des Romains et partager le pays avec lui. Ces feintes assurances d’amitié parvinrent au roi goth en même temps qu’une lettre de la chancellerie impériale ainsi conçue : « Il est digne de votre prudence, ô le plus courageux des Barbares, de conspirer contre le tyran de l’univers, qui veut forcer le monde entier à plier sous lui, qui ne s’inquiète pas des motifs d’une guerre, mais regarde comme légitime tout ce qui lui plaît. C’est à la longueur de son bras qu’il mesure ses entreprises ; c’est par la licence qu’il assouvit son orgueil. Sans respect du droit ni de l’équité, il se conduit en ennemi de tout ce qui existe… Fort par les armes, écoutez vos propres ressentimens ; unissons en commun nos mains ; venez au secours d’une république dont vous possédez un des membres. » On dit qu’à la lecture de ces dépêches contradictoires Théodoric, vivement troublé, s’écria : « Romains, vos vœux sont donc accomplis ; vous avez donc fait d’Attila, pour nous aussi, un ennemi ! » Il donna aux messagers de Valentinien de vagues paroles d’assistance ; mais il se promit bien de laisser les Romains vider seuls cette querelle, et d’attendre dans son cantonnement qu’il plût aux Huns de l’y venir attaquer. Cependant Attila disposait en toute hâte ses troupes pour leur entrée en campagne. Il ne parlait toujours que des Visigoths, et les apparences semblaient démontrer qu’une invasion de la Gaule était son véritable but ; mais telles étaient l’idée qu’on se faisait de son astuce et la défiance qu’on avait de ses paroles, qu’Aëtius, incertain lui-même si cette démonstration ne cachait pas un piège, n’osa pas quitter l’Italie.

L’histoire nous a laissé le funèbre dénombrement de cette armée