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de la sagesse, de la prudence, du tact, de l’habileté de conduite, comme aussi à l’utilité de ne point obscurcir de surexcitations factices, de subites paniques, de rumeurs de toute sorte, les rapports naturels et justes des deux pays. Il y a une page honorable dans l’histoire contemporaine du peuple belge : c’est son rôle simple et droit de neutralité et de préservation au lendemain de février 1848 ; s’il a pu traverser ainsi cette désastreuse année, nous nous permettrons seulement d’ajouter que la masse de l’opinion publique de France, par ses réprobations de ridicules échauffourées comme celle de Risquons-Tout, ne laisse point de lui avoir été un efficace auxiliaire dans son œuvre de défense personnelle. Ce qui est un danger, c’est que le souvenir de cet honorable instant de leur vie politique ne monte à la tête de nos voisins. D’une action simplement neutre et distincte de celle de la France, dans un moment de confusion révolutionnaire, à l’idée d’une indépendance complète, absolue, de toute légitime influence française, on croit qu’il n’y a qu’un pas. De cette indépendance à la recherche affectée d’alliances fort différentes et d’autant plus onéreuses qu’elles seraient poursuivies sous l’empire d’un sentiment un peu trop de circonstance, il y a moins loin encore. Tout ceci pour nous dire : Nous pouvons vivre auprès de vous, sans vous et au besoin contre vous. On peut aller loin dans cette voie, sans y songer. Nous ne pensons pas en effet nous éloigner beaucoup de la vérité en disant qu’il règne en ce moment en Belgique un certain échauffement d’idées à l’endroit de la France. Qu’il fût facile, sans sortir du pays même, de trouver d’autres tendances infiniment moins défavorables à l’influence française, cela n’est point douteux. Il n’est pas moins vrai pourtant qu’il parait être assez de mise en certaines régions d’ériger en sentiment national une certaine répulsion toujours facile à exciter contre la France, de marquer son indépendance par des jugemens peu sympathiques pour notre pays même et de se guinder assez dans la jouissance de ce régime libéral et modéré que 1848 nous a ravi dans un jour d’orage. Peut-être serait-il plus sage pour un pays comme la Belgique de jouir tranquillement de ses institutions, d’en goûter les douceurs et les fruits le moins bruyamment possible, et de laisser une nation comme la France à ses souvenirs, au sentiment de sa situation et au soin de traverser des difficultés qui ne sont point, à tout prendre, les premières d’où elle se soit tirée à son honneur. Il ne faudrait pas surtout intervertir les rôles, car enfin, quelles que soient nos vicissitudes, si la Belgique se sent libre et en possession d’une nationalité dont nous souhaitons, quant à nous, le maintien et le développement, la France y est apparemment pour quelque chose ; et si elle a une langue pour écrire ce qu’elle ressent, à qui la doit-elle ? La Belgique, jusqu’ici, en a assez usé à son avantage, il nous semble, pour le savoir.

Ces jours derniers encore, il paraissait à Bruxelles un petit livre assez curieux vraiment où, sous la simple apparence d’un récit de voyage, revivent quelques-uns de ces sentimens d’antipathie contre la France dont nous parlons : c’est Londres au point de vue belge. Ces pages ne manquent point de verve, d’esprit et d’originalité. Si ce n’était qu’une spirituelle mauvaise humeur contre les importations journalières de tout ce qui se fait ou se dit en France, si ce n’était que le légitime orgueil d’une nationalité cherchant à se faire jour, ou un mouvement naturel de fierté en voyant au palais de cristal le nom de Belgium à côté d’Austria et d’America, selon le langage de l’auteur, il n’y aurait