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Page:Revue des Deux Mondes - 1852 - tome 14.djvu/1016

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a tenu pour la France à ce que ces affaires de Danemark, depuis trop long-temps pendantes, reçussent enfin une solution conforme à l’équité et aux intérêts de l’équilibre européen. La France, d’ailleurs, devait ce témoignage de bon vouloir à un ancien allié cruellement éprouvé pour elle durant la guerre, et à cause d’elle encore non moins maltraité par la diplomatie lors de la paix de 1815.

La Turquie ne fait parler d’elle que de loin en loin depuis quelques années ; mais, dans ce calme, troublé seulement par l’affaire des réfugiés hongrois et la question plus récente des lieux saints, elle n’est point restée inactive. Une nouvelle question préparée de longue date et arrivée aujourd’hui à une phase décisive, la question d’Égypte, qui avait autrefois révélé la faiblesse de l’empire, vient montrer la hardiesse et la force qu’il a retrouvées dans les modestes efforts d’une rénovation sociale en train de s’accomplir. Cette différence de situation, ce changement de rôle entre le sultan et le pacha d’Égypte, entre le suzerain et son vassal, constituent à la fois le principe et le but de leur querelle présente. Plusieurs fois depuis un an, le gouvernement turc et l’héritier de Méhémet-Ali se sont vus aux prises ; quelques-unes des contestations qui les divisaient se sont facilement terminées. Restait l’affaire la plus grave, qui vient d’être en partie résolue, celle du Tanzimat, la grande question de savoir si les institutions fondamentales en vigueur dans le reste de l’empire seraient ou ne seraient point introduites en Égypte, en un mot si la suzeraineté du sultan aurait dans ce pays toutes ses conséquences législatives et judiciaires, ou continuerait d’être nominale.

Il est impossible de ne pas rappeler, à propos du démêlé qui vient d’être écarté, que la France n’a pas toujours été sans reproches dans ses rapports avec l’empire ottoman. La Russie n’est point la seule puissance européenne qui ait porté de rudes atteintes à l’intégrité de la Turquie. Tout ce que la Russie a essayé ou accompli dans les principautés du Danube, la France l’a fait ou tenté à Tunis et en Égypte à plusieurs reprises. Elle a été près de risquer la guerre générale pour asseoir son protectorat sur cette Égypte qu’elle avait déjà une fois conquise et perdue. La France cependant ne pouvait vouloir et ne voulait point la chute de l’empire ottoman. D’où venait donc son erreur ? A la vue de l’affaiblissement graduel du pouvoir central à Constantinople et des brillantes individualités qui étaient écloses successivement dans différentes provinces de l’empire, à la vue de la torpeur dont la race musulmane paraissait frappée et de la jeunesse qui semblait, au contraire, bouillonner dans les veines de quelques-unes des populations de cette vaste monarchie, on s’était demandé s’il ne serait pas possible de régénérer la dynastie d’Othman et son héritage, en substituant à la maison impériale et à la race gouvernante quelqu’un de ces hommes, quelqu’une de ces races qui déployaient tant de vigueur apparente et professaient tant d’ambition. De là le choix que l’on avait fait de Méhémet-Ali et de la race arabe. On a vu depuis combien ce choix, dicté par un engouement superficiel, était peu justifié par le génie de l’homme et les ressources du pays. Celui sur la tête duquel reposait ce plan magnifique de la régénération de la Turquie par l’Égypte a faibli et s’est laissé oublier bien avant de toucher au terme de sa carrière ; les espérances que ses amis avaient proclamées sur ses grandes destinées l’avaient elles-mêmes précédé de long-temps