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partie, le titre le plus vrai de sa gloire poétique. Voiture a été fort en petit le Voltaire de l’hôtel de Rambouillet.

Je finis avec lui en rappelant à son honneur que, tout en suivant la cour, il n’avait pas les mœurs d’un courtisan : Voiture est le premier exemple de l’homme de lettres vivant parmi les grands seigneurs qui ait gardé son indépendance : il avait bien plutôt le ton et les manières passablement impertinentes de ses successeurs de la fin du XVIIIe siècle, Il était caustique et redouté. On prenait garde à s’attirer quelque épigramme de sa part, car cette épigramme était une flèche acérée et rapide qui faisait en quelques heures le tour de Paris et déchirait un homme à la fois en mille endroits différens. Le duc d’Enghien, qui aimait à rire et entendait fort bien la plaisanterie, parce qu’il avait lui-même beaucoup d’esprit, s’accommodait parfaitement de Voiture, en disant toutefois : « Il seroit insupportable, s’il étoit de notre condition. » D’ailleurs Voiture, devançant encore en cela ses disciples du XVIIIe siècle, avait tiré un excellent parti de ses succès de société. Il s’était fait nommer introducteur des ambassadeurs auprès de son altesse royale Gaston, duc d’Orléans. Il s’était fait donner un emploi de finances qu’il n’exerçait guère, mais dont il touchait le revenu. Il avait été chargé de plus d’une mission importante, principalement auprès du comte-duc d’Olivarès. Il était fort bien fait dans sa petite personne, et se mettait avec le meilleur goût. Il était d’office le chevalier, l’amoureux, et, comme on disait alors, le mourant de toutes les belles dames, particulièrement de la jolie Mlle Paulet, que ses manières un peu hardies et ses cheveux d’un blond un peu vif avaient fait appeler la lionne de l’hôtel de Rambouillet.

Tel est le monde où., vers 1635 ou 1636, après le grand bal qui enleva Mile de Bourbon aux Carmélites, la princesse de Condé conduisit sa fille avec son fils, le jeune duc d’Enghien. Ils n’y arrivaient pas sans préparation. L’hôtel de Condé était aussi le rendez-vous de la meilleure compagnie. Situé dans le vaste emplacement qui comprend aujourd’hui la rue de Condé, la rue, la place et le théâtre de l’Odéon jusqu’à la rue des Fossés-Monsieur-le-Prince, il était, dit Sauval[1], « bâti magnifiquement, » et Mme la Princesse en faisait les honneurs avec une dignité presque royale, tempérée par la grace et l’esprit. Lenet, auquel il faut toujours revenir dès qu’il s’agit des Condé, nous apprend que Mme la Princesse avait pris grand soin de former ses enfans aux belles manières : « Marguerite de Montmorency[2], qui avoit été la beauté, la bonne grace et la majesté de son siècle, et qui l’a été proportionément à son âge jusques à sa mort, ayoit toujours un cercle de

  1. T. II, p. 68. C’était l’ancien hôtel de Gondi le plus magnifique du temps, dit encore Sauval, ibid., p. 131. Perelle a gravé l’hôtel et les jardins.
  2. Lenet, édit, Michaud, p, 447 et 450.