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dames les plus qualifiées et les plus spirituelles de la cour. Là se trouvoit tout ce qu’il y avoit de plus galant, de plus honnête et de plus relevé par la naissance et par le mérite. Le jeune prince commença à s’y plaire ; il s’y rendit autant assidu qu’il le put, et y prit les premières teintures de cette honnête et galante civilité qu’il a toujours eue, et qu’il conserve encore pour les dames… Mlle de Bourbon, sa sœur, qui fut après la duchesse de Longueville, étoit pleine d’esprit et d’une rare beauté. » On conçoit donc aisément comment les deux jeunes gens furent reçus à l’hôtel de Rambouillet. Ils y jetèrent d’abord le plus grand éclat.

Mlle de Bourbon était la personne que nous avons décrite, avec ses beaux yeux bleus, ses blonds cheveux, sa riche taille, ses graces nonchalantes et languissantes, toute faite aussi, par la tournure de son esprit et de son caractère, pour devenir une écolière accomplie de l’hôtel de Rambouillet. Il y avait en elle un fonds inné de fierté qui sommeillait dans la vie ordinaire, mais se réveillait promptement dans les occasions. Elle avait l’instinct du grand en toutes choses. Son esprit était de la trempe la plus fine, mais sa délicatesse tournait aisément à la subtilité. Tendre surtout, la galanterie platonique, qui était à l’ordre du jour dans la maison, la devait charmer sans lui faire peur, car son rang la protégeait, et d’ailleurs elle le dit elle-même dans la plus humble confession : les plaisirs des sens ne l’attirèrent jamais. Ce qui la touchait et finit par l’égarer, c’était le besoin d’être aimée, et aussi le désir de paraître, de montrer, comme on disait alors, le pouvoir de son esprit et de ses yeux.

Son frère, le duc d’Enghien, avait sa hauteur, mais nullement sa délicatesse. Malgré tous les efforts de sa mère et l’exemple de sa sœur, le ton dégagé de l’homme de guerre domina toujours en lui, et il porta souvent la liberté de l’esprit et du langage jusqu’à la licence. Sans être beau, il était bien fait, et, quand il était paré, il avait très bon air. Ses yeux ardens, son nez fortement aquilin, quelques dents un peu trop avancées, des cheveux abondans et presque toujours en désordre, lui donnaient un air d’aigle lorsqu’il s’animait. Il avait l’esprit agréable, une gaieté qui n’éclatait jamais plus volontiers qu’au milieu des dangers, et qui ne l’abandonna pas en prison. Quoi qu’on en ait dit, il était plein de cœur. Il aimait ses amis ; il n’en a jamais trahi un seul. Il en exigeait beaucoup ; mais il leur donnait beaucoup. Il prodiguait leur sang, comme le sien, sur les champs de bataille ; mais il les poussait et demandait pour eux encore plus que pour lui. Un autre, après Rocroy, eût été jaloux de Gassion, qui passait pour avoir conseillé la manœuvre qui décida du sort de la journée ; lui, du champ de bataille, demanda pour Gassion le bâton de maréchal de France, et la charge de maréchal de camp pour Sirot, qui, à la tête de la réserve, avait