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échappée des Carmélites, elle s’abandonnait à tous les plaisirs qui venaient au-devant d’elle.

Comme son frère, elle admirait Corneille ; mais elle avait un goût particulier pour Voiture, et ce goût-là ne la quitta jamais. Elle pensa, elle parla toujours de Voiture comme Mme de Sévigné. Et ce n’est pas seulement l’agrément de son esprit qui lui plaisait, elle était touchée sans doute de la sensibilité que nous y avons relevée, et qui met pour nous Voiture au-dessus de tous ses rivaux. Plus tard, dans la fameuse querelle des deux sonnets sur Job et sur Uranie, qui partagèrent la cour et la ville, les salons et l’Académie, quand tout le monde était pour Benserade, Mme de Longueville, alors l’arbitre du goût et de la suprême élégance, prit en main la cause de Voiture et ramena l’opinion. On a fait un volume sur cette querelle : elle n’est pas épuisée, et on pourrait la reprendre à l’aide de pièces nouvelles qui, en faisant connaître pour la première fois les motifs de Mme de Longueville, nous révéleraient la délicatesse de son esprit, qui tenait à celle de son cœur.

Mlle de Bourbon fit aussi connaissance à l’hôtel de Rambouillet avec Chapelain, instruit, modéré, discret, ami sincère de la bonne littérature, et qui eût pu devenir un écrivain du troisième, peut-être même du second ordre, ainsi que son ami Pélisson, si, comme le disait Boileau, dont tous les traits d’esprit sont de sérieux jugemens, il se fût contenté d’écrire en prose. Mlle de Bourbon prit de l’estime pour Chapelain, et, quand elle fut mariée, elle lui fit donner une assez forte pension par M. de Longueville, pour travailler avec sécurité à cette fameuse Pucelle qui devait être l’Iliade de la France et qu’on applaudissait d’avance dans le cénacle de la rue Saint-Thomas-du-Louvre. Elle avait déjà l’esprit de s’y ennuyer. Un jour, à une lecture qu’on en faisait, comme on vantait à côté d’elle les beautés de ce poème attendu depuis vingt ans, et qui, grace à Dieu, n’est pas encore publié en entier : « Oui, dit-elle, cela est fort beau, mais bien ennuyeux. »

Parmi les beaux esprits médiocres qu’elle rencontra dans l’illustre hôtel, était Godeau, petit abbé qu’on appelait dans la maison le nain de Julie, et qui, pendant toute sa vie, tour à tour évêque de Grasse et de Vence, a entretenu un commerce de lettres moitié dévotes, moitié galantes, avec Mlle de Bourbon et Mme de Longueville[1]. Il y avait

  1. Voici dans quel style il écrit de Grasse le 18 décembre 1637 à Mlle de Bourbon : « Mademoiselle, je suis bien glorieux d’apprendre que celle qui est dans le cœur de tout le monde craigne de n’être pas dans ma mémoire. Quand elle seroit un temple, vous y pourriez avoir place ; jugez donc si je n’ai pas intérêt de vous y conserver, afin que vous la rendiez précieuse, de pauvre et d’infidèle qu’elle étoit auparavant. C’est principalement à l’autel, mademoiselle, que vous m’êtes présente. Je demande bien à Dieu qu’il ajoute d’autres lys à ceux de votre couronne, mais je lui demande aussi qu’il y mêle l’amour des épines de son fils, et qu’il vous affermisse dans le généreux mépris de la grandeur où je vous ai vue. » (Allusion à la pensée qu’avait eue Mlle de Bourbon de se faire carmélite.) Ailleurs, du 3 mai 1641 : «… Notre-Seigneur est bon, mais il est jaloux, et il vaudroit mieux n’avoir jamais goûté son esprit que de s’en dégoûter et le laisser s’éteindre. Les roses ont des épines qui défendent leur beauté ; mais les princesses sont au milieu de roses qui ne les garantissent pas des tentations que les plaisirs du monde leur inspirent » Voyez Lettres de M. Godeau, évêque de Vence, sur divers sujets. Paris, 1713, p. 17 et p. 143.