Page:Revue des Deux Mondes - 1852 - tome 14.djvu/1043

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

aussi Esprit, de l’Académie française, qui joua toute sorte de rôles d’abord homme de lettres et commensal de M. le chancelier, qui le mit à l’Académie, puis tout à coup prêtre de l’Oratoire, puis redevenu homme du monde et père de famille, qui ne devait pas être sans mérite, car il eut de son temps l’estime de fort bons juges, attaché plus tard à l’ambassade de Munster, un des pensionnaires de M. et de Mme de Longueville, précepteur de leurs neveux, les petits princes de Conti, tenant une assez grande place dans le salon de Mme de Sablé, consulté par La Rochefoucauld, passant même pour être un des auteurs des Maximes, et qui aurait gardé peut-être cette réputation, si l’on n’avait eu l’imprudence d’en imprimer un ouvrage en 1678[1].

Je me ferais scrupule d’oublier à l’hôtel de Rambouillet Mlle de Scudéry. C’était une personne assez laide, mais pleine d’esprit, d’un talent véritable, écrivant trop vite peut-être, mais avec une correction et une politesse qui n’étaient pas communes vers 1640. Elle jouissait d’une grande considération et la méritait. Leibnitz a recherché l’honneur de sa correspondance. Elle faisait des vers fort goûtés de leur temps, et qui nous paraissent encore très agréables. Ses romans sont si longs et les épisodes s’y embarrassent tellement les uns dans les autres, qu’il est absolument impossible de les lire en entier aujourd’hui ; mais ceux qui oseront s’engager dans ce labyrinthe y rencontreront çà et là des portraits bien faits et très ressemblans, quoiqu’un peu flattés, d’originaux illustres, à peine déguisés sous des noms grecs, persans et romains, d’exactes descriptions des plus beaux lieux et des plus magnifiques palais de France et de Paris, transportés à Rome ou en Arménie, les grands sentimens, alors à la mode, des tendresses d’un platonisme alambiqué, des conversations quelquefois un peu fades, quelquefois un peu raffinées, mais qui donnent une bien agréable idée des conversations réelles que Mlle de Scudéry tâchait d’imiter. Un jour, Mme de Lafayette abrégera ces peintures et ces discours, elle ôtera ces fadeurs et ces langueurs, elle adoucira ces subtilités ; mais elle gardera le charme de ces mœurs héroïques et galantes, et les esprits délicats qui aujourd’hui encore font leurs délices de Zaïde et de la Princesse de Clèves, de la Bérénice de Racine, de la Psyché de Molière et de Corneille, ne liront pas sans plaisir certains chapitres du Grand Cyrus. George Scudéry lui-même, insupportable par son amour-propre et son style de

  1. De la Fausseté des Vertus humaines, par M. Esprit ; in-12, deux vol., Paris, 1678.