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la campagne allait s’ouvrir, rien ne put le retenir, ni les prières de sa famille, ni les larmes de sa maîtresse[1] ; il partit à peine convalescent et revint couvert de gloire. À son retour, il continua de « donner à Mlle du Vigean toutes les marques d’une passion tendre et respectueuse.

En 1642, étant aux eaux de Bourbon avec le cardinal de Richelieu, le duc d’Enghien, au milieu des plus difficiles conjonctures, saisit un prétexte pour s’en venir à Paris, « où la passion qu’il avoit pour Mlle du Vigean l’appeloit. »

C’est surtout après la mort du cardinal, dans les années 1643 et 1644, qu’éclatèrent les amours de Condé. La galanterie étant alors à la mode, ces amours n’avaient été un mystère ni un scandale pour personne. La Bibliothèque nationale possède une histoire manuscrite de la régence d’Anne d’Autriche dont l’auteur déclare avoir été le témoin de toutes les choses qu’il raconte, et, dans une lettre adressée au prince de Condé, lui dédie en quelque sorte ces mémoires. Il y est plusieurs fois question de la tendresse des deux jeunes gens, dont l’un sortait à peine de l’adolescence, et l’autre avait vingt-deux ans à Rocroy en 1643, vingt-trois à Nortlingen en 1644, vingt-cinq à Mardyk, à Furnes et à Dunkerque en 1646, et vingt-six à Lens en 1647. Après la campagne de Flandre, où le duc d’Orléans avait pris Gravelines et où Condé avait pris Fribourg, « ces illustres conquérants, dit notre manuscrit[2], ayant apporté leurs lauriers aux pieds de la régente, qui étoit alors à Fontainebleau, se retirèrent, le premier à Paris et l’autre à Chantilly. Si la cour de Fontainebleau surpassoit celle de Chantilly en nombre, celle-cy ne lui cédoit en rien en galanterie et en plaisirs. La princesse de Condé, les duchesses d’Anguyen et de Longueville y estoient venues, accompagnées d’une douzaine de personnes de qualité les plus aimables de France. Outre la beauté du lieu, les jeux et la promenade, la musique et la chasse, et généralement tout ce qui peut faire un séjour agréable, se trouvoient en celui-cy. La jeune Du Vigean y estoit, pour laquelle le duc d’Anguyen avoit alors beaucoup d’estime et d’amitié. Elle, de son costé, y respondoit assez, et tout le monde les favorisoit. »

Il faut voir dans les mémoires du temps, les détails de ce curieux épisode de la jeunesse de Condé, les vicissitudes de cette liaison aussi tendre qu’elle était pure, les espérances, les craintes, les jalousies, tous les troubles heureux qui accompagnent l’amour. Mlle du Vigean avait supplié[3] Condé de dissimuler ses sentimens en public ; elle l’avait engagé, en badinant peut-être, à faire semblant d’aimer Mlle de Boutteville ; mais celle-ci était si belle, et le jeu était si dangereux, que

  1. , Voyez l’article précédent, livraison du 15 mai.
  2. Supplément français, 935, fol. 30-31.
  3. Mémoires de Mme de Motteville, t. Ier, p. 295.