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Et mettant immédiatement en pratique la loi dont elle venait de m’instruire, elle sortit sans me faire aucune excuse pour aller coucher ses enfans, à ce que m’apprit Mévil.

— Vous voyez, me dit le peintre, quand nous fûmes seuls, dans quel lieu je vous ai conduit. Cette chambre me fait l’effet de la place fantastique où Molière et Shakspeare ont placé les plus libres jeux de leur esprit. Ici, comme vous l’a dit la Cornélia, on entre et l’on sort sans raison. On garde un silence obstiné, on engage un entretien enjoué, ou l’on se livre au charme excentrique du monologue suivant les caprices passagers de son esprit et de son cœur. Je vous ai mené, mon cher voyageur, dans un de ces châteaux du roi de Bohême qui étaient si chers à Charles Nodier. Tout se passe par boutade en ce gîte. Ainsi la Cornélia, qui demain ne se souciera peut-être plus des quatre marmots que vous avez vus tout à l’heure pendus à ses jupes, est à l’heure qu’il est dans une lune de maternité. Sardonio l’a comparée à une madone païenne, et Mazzetto à une sibylle chrétienne ; elle veut à tout prix se rendre digne de ces éloges philosophiques.

Je dis à Mévil qu’il était moqueur, et que sa Cornélia me paraissait une personne fort simple, s’acquittant avec dignité d’un devoir respectable.

— Ainsi vous voilà déjà sous le charme, fit le peintre. Oui, la Cornélia voudrait être simple, c’est son désir, sa prétention, sa manie ; mais je la connais, la simplicité de la Cornélia. C’est ce rôle fatigant qu’impose aux artistes la maxime dont on les a rebattus, que la simplicité dans la vie domestique est un incontestable signe de génie. Les pauvres hères se guindent à des simplicités qui me font mal, et auxquelles je préférerais de beaucoup un naturel permettant à tous les yeux de voir le jeu naïvement compliqué de leurs travers et de leurs vices. Voyez-vous, mon cher monsieur, ajouta Mévil, je ne suis certainement ni prude, ni pédant, ni moraliste, mais je crois la simplicité une vertu dont certaines existences ne s’accommodent pas, et, pour moi, les églogues maternelles de la Cornélia sonnent aussi péniblement faux que ses homélies philosophiques. Mazzetto et Sardonio nous ont gâté cette bonne fille. Jocrini nous l’a gâtée aussi avec ces bribes de Wilhelm Meister qu’il s’est fourrées dans le cerveau, et qui font de lui un Sganarelle corrigé par Ludwig Tieck. Sur le théâtre, elle devait être notre Camargo, seulement avec une inspiration plus passionnée que l’inspiration d’une danseuse du siècle des Richelieu, des Boufflers et des Pompadour. Chez elle, elle devait être, la pauvre femme, ce qu’elle est, mais sans toutes ces prétentions funestes, ces fâcheuses visées qui tournent sa tête et celle d’honnêtes gens auxquels je ne voudrais lui voir laisser qu’un bon souvenir.

Pendant que Mévil parlait ainsi, la Cornélia rentra. Depuis quelques mois déjà elle était séparée de Jocrini, qui n’était pas à Turin, et ce