Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1852 - tome 14.djvu/1075

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

la longueur duquel règne une galerie abritée à certaines heures du jour par des rideaux de coutil rayé de couleurs vives ; des magasins d’articles variés occupent d’ordinaire le rez-de-chaussée. Les autres, constructions de Callao sont, pour la plupart, très basses, et les rues sont disposées de telle sorte que, durant la plus grande partie du jour, le soleil y verse une lumière implacable. Nous n’en parcourions pas moins la ville, enfonçant jusqu’aux chevilles dans une poussière remplie de débris infects qui donnent naissance à toute sorte de vermine. Les maisons, blanchies à la chaux ou badigeonnées en jaune, étaient closes et silencieuses comme des tombes. C’était l’heure de la sieste. Çà et là, des ânes pelés et galeux se tenaient immobiles dans l’ombre étroite que projetait par hasard un pan de muraille, et des files noires de gallinasos[1] dormaient perchés sur une patte au rebord des terrasses.

Les portes de l’église étaient ouvertes, nous y entrâmes. La nef n’offre aucun intérêt sous le rapport architectural, et la décoration intérieure répond à la médiocrité de la façade. En sortant de l’église, nous nous dirigeâmes vers le Castillo. C’était procéder avec ordre dans cette ancienne colonie espagnole où, comme dans tous les pays soumis à l’Escurial, l’église et l’épée, le prêtre et le soldat, après avoir été les plus énergiques leviers de conquête, restèrent les principaux élémens de puissance employés par les conquérans du Nouveau-Monde pour asseoir et perpétuer leur domination. Comme nous nous disposions à franchir le pont-levis abaissé sur un fossé devant l’entrée béante et voûtée de la citadelle, un groupe assez original s’offrit à nos regards. -Au sommet d’un monticule pierreux et fauve, que tigraient çà et là quelques bandes sombres de verdure, un factionnaire était assis ; devant lui une cholita[2], le corps nonchalamment renversé, la main perdue dans les ondes d’une chevelure étoilée de fleurs de jasmin, et le coudé appuyé sur le genou du soldat, écoutait en souriant quelque confidence amoureuse, tout en arrachant avec ses lèvres les pétales d’une fleure de grenadier. L’homme portait le frac gris et le bonnet blanc à ruban vert ; la femme avait le torse drapé d’un châle écarlate, et son jupon retroussé laissait apercevoir un petit pied chaussé de satin blanc, une cheville fine et une jambe irréprochable. Le soldat s’était improvisé un parasol en nouant les pointes d’un madras aux extrémités de la baguette de son fusil, fixée elle-même par le milieu au coude de la baïonnette. Cet écran projetait sur le visage cuivré de l’Indienne une ombre vigoureuse, semblable à celles qu’Eugène Delacroix fait tomber avec une si savante hardiesse sur la face de ses personnages. Nous

  1. Sorte de vautour domestique du Pérou.
  2. Indienne.