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de voyage. Ce capitaine, quelque peu officier de fortune, après avoir mis en différens pays son épée au service de dix partis contraires, était venu l’offrir aux turbulens du Pérou, et il avait voulu inaugurer son séjour dans ce pays par un trait d’audace. À cet effet, il se munit d’un arsenal, et, appelant de tous ses vœux une rencontre périlleuse, il quitta Callao dans une voiture, en compagnie d’un pacifique tiendero[1] de Lima. Le sort le servit à souhait ; un accident survint à l’attelage, et, pendant que le cochero s’occupait d’y pourvoir, une demi-douzaine d’individus fondirent sur la voiture comme des vautours sur une proie. Les voleurs étaient en nombre, mais l’Anglais était brave. « Que voulez-vous ? dit-il. — Ton argent, » fit un salteador en abaissant son escopette. C’était l’instant d’épargner les paroles ; le pistolet de l’Anglais se chargea de la réponse, et une balle terrassa l’agresseur. — Anda puerco ! cria aussitôt au cocher l’enfant d’Albion tout en s’apprêtant à faire usage d’un second pistolet ; mais le tiendero liménien, qui avait perdu la tête, arrêta le bras du conducteur en lui criant d’une voix lamentable : Para, amigo ! por Dios, para[2] !… La phrase commencée se perdit dans une décharge d’escopettes, qui enlevait et clouait au fond de la voiture une oreille du malheureux tiendero. Un second coup de pistolet tiré par l’Anglais renversa un deuxième assaillant ; les autres hésitèrent. Le cocher s’était remis en selle ; stimulé par la voix énergique de l’Anglais bien plus que par les prières désespérées de son compatriote, il enleva ses chevaux, partit a fond de train, et, malgré quelques balles qui trouèrent le fond de la voiture, on put atteindre Lima.

Comme nous ne tenions nullement à faire étalage de vaillance sur le sol péruvien, nous jugeâmes superflu d’affronter les salteadores, et, pour éviter autant que possible d’ajouter une nouvelle anecdote burlesque ou dramatique aux riches annales de la Legua[3], nous allâmes retenir nos places dans le prosaïque véhicule qui a la réputation de conduire son personnel complet jusqu’à la capitale.


II. – UN OMNIBUS PERUVIEN.

Le lendemain, au coup de dix heures, nous étions réunis au bureau de l’omnibus. Le cochero, nègre vigoureux et brutal, était déjà perché sur son siège et s’amusait en manière de passe-temps à fouetter son attelage, qui, impatient et tourmenté, piétinait, ruait, mordait et se trémoussait en secouant ses liens. Nous n’eûmes que le temps de déposer an bureau notre demi-piastre, prix du voyage, et de nous jeter pêle-mêle dans la voiture déjà pleine, qui partit aussitôt comme emportée

  1. Boutiquier.
  2. Arrête, mon ami ! pour Dieu, arrête !
  3. Endroit suspect de la route de Callao à Lima.