Page:Revue des Deux Mondes - 1852 - tome 14.djvu/1102

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

répétons cependant, le nationalisme des Liméniens ne repose sur aucun principe arrêté et n’existe qu’à l’état de manie.

Comme dans tous les pays espagnols, la musique et la danse sont les arts qui trouvent à Lima le plus d’adeptes parmi les femmes ; leurs dispositions naturelles se joignent au sentiment le plus exquis pour suppléer aux maîtres qui leur manquent. Il en est peu dans la société qui ne sachent jouer fort convenablement du piano, et on en compte un certain nombre qui se sont élevées à un talent du premier ordre. Les partitions de toutes les écoles leur sont familières, mais leurs préférences sont toutes pour la musique italienne. L’opéra italien établi dans la capitale du Pérou depuis plusieurs années devait naturellement développer le goût des Liméniennes pour les mélodies de Rossini et de Bellini. Les voix fraîches et limpides ne sont pas rares à Lima, et nous avons entendu des femmes du monde aborder avec un succès légitime les morceaux les plus difficiles des œuvres en renom. — Quant à la chorégraphie, elle ne jette que de furtives lueurs ; la samacueca, la resbalosa, la zapatea, et autres danses nationales pleines de caractère, trouvent à peine aujourd’hui des interprètes dans les salons. Cela tient sans doute aux triviales exagérations que les basses classes leur ont fait subir. Les jeunes danseuses, voyant poindre sur les lèvres des hommes un sourire équivoque, ont fini par soupçonner qu’on attachait à leur innocente pantomime un sens suspect, et dès-lors elles ont dû renoncer à ces occasions de produire en public des trésors vraiment incomparables de grace et de souplesse. L’historien voyageur Stevenson constatait déjà, il y a vingt ans, avec une satisfaction fort réjouissante que notre monotone quadrille, qu’il nomme « l’agréable contredanse, » commençait à détrôner au Pérou les danses nationales ; le progrès est maintenant presque accompli. À part la contredanse espagnole, sorte de valse à mesure lente avec un grand nombre de figures, les bals du beau monde liménien ne diffèrent pas sensiblement des nôtres, et si l’on veut recueillir en ce genre quelques bribes de couleur locale, il faut les chercher surtout dans les classes populaires.

Les femmes du monde sont, dans leur intérieur, vêtues à la française, avec une élégante recherche. Les modes parisiennes ont des ailes pour franchir l’Atlantique et les Cordillères ; aussi s’implantent-elles à Lima peut-être avec plus de facilité que dans certaines provinces de France. Le chapeau seul s’y introduit avec difficulté, et en cela les femmes font preuve de goût, car rien ne saurait valoir le trésor naturel de leur chevelure, dont elles varient à l’infini les ingénieuses combinaisons, et dont une fleur est toujours le coquet et indispensable accessoire. Cet amour immodéré des bouquets et des parfums s’étend à toute la population. Il faut qu’une maison soit bien pauvre pour qu’on-n’y