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faire ses pâques, en quelque état qu’il fût, sans sacrilège et en sûreté de conscience. » Nous pourrions choisir entre mille faits, mille réflexions du même genre ; mais la reproduction des textes est impossible ici, et ce que nous venons de citer, n’a pas besoin de commentaires.

Les mœurs étaient aussi frivoles que dissolues ; les abbés jouaient de la guitare et chantaient dans les salons, tandis que les colonels faisaient de la tapisserie. L’esprit de la nation tout entière s’exhalait en chansons, en bouts rimés, en jeux de mots ; que les troupes se consument dans la Bohême sous les ordres du maréchal de Maillebois, que le roi change de maîtresse, que le cardinal de Fleury tombe en syncope, on chansonne le maréchal, les favorites du roi, les syncopes du cardinal. L’invention des pantins, en 1747, fut un véritable événement ; ces jouets, après avoir amusé les enfans, occupèrent les hommes. Les médecins, les magistrats eux-mêmes en portaient toujours avec eux ; ils ne croyaient point déroger à la gravité de leur âge et de leur profession en les faisant danser au milieu des cercles et des promenades, et en accompagnant la danse de ces couplets :

Que Pantin serait content,
S’il avait l’art de vous plaire ! etc.


Pantin n’eut pas seulement les honneurs de la chanson ; on fit contre lui des épigrammes, des satires, et les peintres lui consacrèrent leur talent. Boucher, entre autres, en peignit un grand nombre, et celui qu’il exécuta pour la duchesse de Chartres fut payé 1,500 livres.

Aux costumes élégamment sévères du règne de Louis XIV avaient succédé des costumes bizarres, pleins d’afféterie, de recherche et de mauvais goût, et qui furent pour nos modes ce que le jargon des précieuses, dans le siècle précédent, avait été pour notre langue. Les hommes semèrent leurs habits d’or en pluie, d’étoiles, de petits carrés de couleurs, de paillettes et de fleurs. Les femmes se surchargèrent de bagues, de colliers, de girandoles, de ceintures. On donna aux paniers un diamètre égal à la hauteur des personnes qui les portaient les mêmes étoffes, les mêmes dentelles servirent aux deux sexes, et les hommes eux-mêmes firent usage du fard et des mouches. C’était un véritable marivaudage en toilette. Du reste, cette corrélation entre les mœurs, les idées et le costume n’est point un fait particulier au XVIIIe siècle ; on le retrouve à toutes les époques de notre histoire ; la plupart des écrivains du moyen-âge l’ont signalée, et les soins exagérés donnés à l’habit ont toujours été regardés par eux comme un symptôme de décadence et d’affaissement. C’est qu’en effet les modes n’ont jamais été plus mobiles, plus recherchées, plus tourmentées qu’aux époques les plus corrompues et sous les rois les plus faibles.

Les raffinemens du luxe, la mollesse des habitudes, n’excluaient pas la dureté des mœurs. La fureur des duels, que Louis XIV lui-même n’avait pu comprimer, se réveilla sous la régence avec une vivacité nouvelle. On ne se battait pas, comme aujourd’hui, pour satisfaire à un préjugé que les gens de cœur ont la faiblesse de respecter ; on se battait pour se tuer, et on se tuait presque toujours. Cette noblesse aux habits de soie tout brillans de paillettes, cette noblesse poudrée, musquée, fardée, avait la main rapide et sûre ; elle ne marchandait pas son sang, et, quand il fallait tirer l’épée, on ne laissait pas à la