Page:Revue des Deux Mondes - 1852 - tome 14.djvu/1139

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

une chambre des lords héréditaire aussi, et une chambre des communes élective exerçant en commun le pouvoir législatif et la souveraineté. Suivant qu’il appartient à tel ou tel parti, il peut croire nécessaire d’attribuer plus ou moins d’étendue à la prérogative royale, de composer la chambre basse d’élémens plus ou moins populaires ; mais ce n’est qu’une question de proportion.

En quoi consiste donc, à vrai dire, le radicalisme anglais ? En quoi se distingue-t-il essentiellement du whiggisme, qui a aussi la prétention fondée d’être un parti de liberté et de progrès ?

Je vais le dire en peu de mots : les tories et les whigs, contemporains en quelque sorte du régime parlementaire et des libertés britanniques, sont deux partis aristocratiques, par conséquent deux partis de traditions. Le radicalisme, plus récent, est, avec les restrictions que j’indiquais tout à l’heure et dans la mesure que comporte le caractère anglais, un parti d’innovation et de théories. Il admet les formes extérieures de la constitution anglaise dans ce qu’elles ont d’essentiel ; mais il tend à en renouveler l’esprit en croyant peut-être très sincèrement ne faire autre chose que la fortifier, la ramener à son origine, l’épurer des abus qui s’y sont peu à peu introduits ; il ne comprend pas que certaines anomalies, certaines irrégularités, dont il se scandalise, ont fini par s’identifier avec le fond de cette constitution, que le jour où on les ferait disparaître, elle prendrait immédiatement un caractère nouveau dont il est difficile de calculer les effets, et que par conséquent la prudence prescrit de ne toucher que successivement, avec des ménagemens infinis, aux abus les plus incontestables.

Une des choses qui choquent le plus le radicalisme, c’est précisément l’existence de ces deux grands partis des tories et des whigs, qui sont, je ne crains pas de le dire, l’ame des institutions anglaises. L’organisation puissante et permanente qui, depuis deux siècles, a constamment classé dans ces deux partis toutes les forces, toutes les supériorités politiques et sociales de la Grande-Bretagne, et les a ainsi soumises à une action régulière, à une sorte de discipline, n’est, aux yeux des radicaux, qu’un mécanisme factice par lequel l’intérêt général est sacrifié à des combinaisons de coterie. Dans leur profonde ignorance des ressorts de la nature humaine, ils sont assez aveugles pour croire que le pays et la société auraient plus à attendre des volontés individuelles livrées à elles-mêmes et uniquement dirigées par des principes généraux, toujours faciles à tourner au gré des passions et des intérêts personnels, que de ces mêmes volontés dirigées, contenues, régularisées, comme si les traditions héréditaires, les habitudes, le point d’honneur, la communauté des intérêts de partis, n’étaient pas les liens les plus forts qui puissent unir les hommes dans la vie publique, les mobiles les mieux faits, à défaut d’une haute vertu qu’on