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grand corps dont l’existence et la force sont un élément si essentiel de la constitution britannique. Enfin, en ce qui concerne le roi, tout en comptant aussi, pour vaincre ses répugnances assez naturelles, sur l’effet des démonstrations populaires, il fallait, autant que possible, éviter ce double péril, de trop l’aliéner pour l’avenir de la cause de la liberté en lui faisant violence, et d’affaiblir la royauté en lui enlevant brusquement la faveur populaire qui s’était d’abord attachée à lui, mais qui ne pouvait manquer de l’abandonner le jour où on saurait avec certitude qu’il était contraire au vœu général.

C’étaient là des écueils bien nombreux, bien difficiles à éviter à la fois. Le ministère me parait y être parvenu dans la mesure du possible. Il fit preuve surtout d’une profonde intelligence et d’une grande habileté dans les précautions infinies qu’il mit à ménager la popularité royale, à s’en faire une force en laissant long-temps ignorer au public les incertitudes ; les répugnances du roi, en prolongeant ainsi en sa faveur des témoignages d’amour et d’enthousiasme populaires qui flattaient ce pauvre prince, et le faisaient hésiter à se jeter ouvertement lu côté de l’opposition anti-réformiste.

Le livre de M. Roebuck contient, je le répète, tous les élémens de l’appréciation que je viens d’exprimer, et cependant il est loin de porter un jugement analogue sur les faits qu’il expose avec beaucoup de lucidité et presque toujours d’exactitude. Cela s’explique facilement M. Roebuck appartient à l’opinion radicale.

Expliquons-nous, avant d’aller plus loin, sur le sens qu’il faut donner à cette qualification. En France, on entend généralement par radical celui qui, ne tenant aucun compte des institutions existantes, aspire à renouveler la société politique sur les bases d’une théorie empruntée aux idées les plus exagérées de liberté et d’égalité. Telle est notre malheureuse propension aux idées absolues, qu’on a pu voir, depuis soixante ans, en dépit de tant d’expériences, beaucoup d’hommes honnêtes, consciencieux, éclairés à certains égards, et dont les intérêts comme la volonté repoussaient toute pensée de bouleverseraient, s’engager avec opiniâtreté dans ces voies dangereuses. En Angleterre, quelques rêveurs à esprit faible, à vive imagination, ont pu, à diverses époques, prêcher, avec plus ou moins de succès, ces doctrines insensées à des multitudes ignorantes et misérables qu’ils soulevaient pour un moment ; nais ils n’ont jamais réussi à former un parti durable et tant soit peu respectable par sa composition. Le véritable parti radical, celui dont M. Roebuck est, à la chambre des communes, un des principaux organes, a un tout autre caractère. Un Anglais de bon sens et de bonne fois, qu’il soit radical, whig ou tory, semble être dans l’heureuse impuissance de concevoir pour son pays une autre forme politique que celle qui a revêtue de temps immémorial : un roi héréditaire,