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comparaison avec celle de faire, dans cette assemblée, des appels efficaces à une sentimentalité romanesque. Quiconque a eu l’occasion d’adresser la parole à des réunions de nature diverse doit avoir reconnu que les appels aux passions, aux sentimens généreux, à l’exaltation de l’honneur, ne réussissent guère qu’auprès d’un auditoire simple et illettré. Plus une assemblée renferme d’hommes de savoir et d’expérience, plus elle éprouve de répugnance pour ces provocations passionnées… Ce qui ferait pleurer une réunion de paysans endormirait probablement la chambre des communes, ou ne la tiendrait éveillée que par un sentiment de dégoût et de mépris. M. O’Connell le savait parfaitement ; il savait d’ailleurs que le grand corps dans lequel il entrait était plein de courage, qu’il était aussi malaisé de l’effrayer que facile de blesser la susceptibilité dédaigneuse de son goût. Il n’eût pas été sans danger de prendre envers une telle assemblée un ton de menace : il était impossible de l’intimider, il n’y avait presque aucun espoir de l’entraîner en sens inverse de ses convictions ; mais l’amuser, l’intéresser, conquérir en quelque sorte son attention et son estime à force d’esprit et de savoir, par des exposés d’une lucidité victorieuse, par les déductions d’une logique habile, quelquefois même, bien que rarement, l’émouvoir et presque la convaincre par les traits heureux et ménagés avec art d’une argumentation passionnée, cela ne dépassait pas les bornes de la puissance d’un grand orateur. M. O’Connell le sentait, il avait une assez haute opinion de lui-même pour comprendre qu’il lui était permis d’aspirer à de tels résultats ; toujours maître de lui-même, il s’appliqua à cette tâche difficile, et il y réussit.

« Ses facultés étaient de l’ordre le plus élevé, on ne saurait le nier ; il est également certain que peu d’hommes ont en tant et de si heureuses occasions de rendre à leur pays de grands services. Il faut pourtant reconnaître que tant de talens éminens et des circonstances si favorables ont produit comparativement bien peu de résultats pour lui ou pour les autres, et que peu d’hommes ayant aussi long-temps et à un tel degré fixé l’attention du monde ont laissé derrière eux si peu de traces faites pour recommander leur souvenir.

Pour un acteur aussi accompli que M. O’Connell, il n’y avait rien de particulièrement difficile à prendre les manières, à employer le langage qui pouvaient plaire à une assemblée et la conduire à un but donné ; mais respecter la vérité, sacrifier les considérations personnelles, résister au préjugé populaire sur lequel était fondée sa propre puissance, cela eût exigé un esprit habitué dès l’enfance à obéir aux inspirations de cette moralité élevée qui appartient aux peuples libres et qu’on ne trouve que chez eux. M. O’Connell, malheureusement pour sa gloire et pour le bonheur de son pays, n’était pas exempt des vices qui sont la conséquence trop naturelle de l’état d’oppression contre