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l’en empêche ? — Allons, tout de suite !… Il ne s’agit pas de pleurer en dessous et de rouler les rubans de son tablier ; — parle ! parle !

La jeune fille souleva les yeux, puis les rebaissa toute tremblante.

— Mon parrain doit savoir que personne n’est maître de sa préférence, dit-elle timidement.

— Au diable ! Il ne s’agit point de savoir qui tu préfères, mais qui tu épouseras, reprit l’entrepreneur.

— Et pourquoi mon parrain n’écouterait-il pas la demande de maître Robert ? ajouta Renée très bas.

— Pourquoi ? répéta le grand boisier ; mais, mille damnations ! tu n’as donc pas compris ? Je viens de te le dire, parce que le petit Le noir te convient, qu’il a une place, qu’il peut me servir pour mes fournitures, que nous ne trouverons jamais une pareille occasion, et que c’est un vrai numéro gagné à la loterie.

—. Pour vous peut-être, maître Richard, dit le passeur ; mais la Renée a idée de se marier un peu pour son compte.

— Et pour celui de ton fils, pas vrai ? répondit l’entrepreneur. Ah ! je vois la chose à cette heure ! vous avez entortillé la petite, et tu voudrais la pousser à me désobéir ; mais que je sois damné si elle porte jamais le nom de ton gars !

— Faut pas jurer plus qu’on ne peut tenir, dit le passeur d’un ton de calme affecté ; notre voisin oublie que la Renée ne lui est rien, et qu’il n’a aucun droit pour l’empêcher de choisir à sa fantaisie.

— Plaît-il ? s’écria Richard, qui se promenait à grands pas et s’arrêta court ; tu dis que la Renée ne m’est rien ! Ah ! vingt dieux ! approche un peu ici, toi, pour lui répondre ; puisque tu ne m’es rien, demande-lui pourquoi tu coupes ton pain à ma miche, pourquoi tu prends un morceau de mon toit et un coin de mon feu !

— Je sais tout ce que je vous dois, mon parrain, interrompit la jeune fille, gagnée par les larmes.

— Non, non, je n’ai aucun droit, interrompit le grand boisier exaspéré ; pour lors, qu’il te dise qui t’a empêchée d’aller à l’hôpital, qui t’a acheté la jupe que tu portes, qui a payé ta pension au couvent.

— C’est votre intérêt, répliqua Robert, qui s’animait malgré lui à la colère de son interlocuteur ; faut point parler de générosité ni de bon cœur, maître Richard ; si vous avez élevé l’enfant, c’est que vous l’avez vue grandement laborieuse et avisée ; vous vous êtes dit qu’un jour venant, elle vous rembourserait vos avances, et de fait ce jour est venu, car ce n’est pas une petite épargne pour vous que d’avoir une domestique sans gages et un commis qui ne coûte rien.

— Eh bien ! quand cela serait ? répliqua l’entrepreneur, qui, comme, tous les hommes violens, se réfugia dans le cynisme, faute de bonne