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troisième vous enlève vous-même avec la force que l’habitude du lavage des maisons et des frottemens du cuivre peut communiquer à de si beaux bras, et, quoi qu’on fasse, on se trouve bientôt attablé dans un de ces cabinets-alcôves, dont il était difficile d’abord de deviner la destination.

Une fois que vous vous êtes laissé servir un plat de crême frite imprégnée de sucre et de beurre, ou des gaufres ou toute autre pâtisserie qu’il faut digérer à l’aide de plusieurs tasses de café ou de thé, ces belles du Nord reprennent leur vertu et ne se montrent pas moins sauvages que des cigognes d’Heligoland. D’ailleurs la police l’exige. — C’est une singulière race que ces Frisonnes si grandes, si blanches, si bien découplées, et si différentes d’aspect des Hollandaises ordinaires. On ne peut mieux les comparer, je crois, qu’à nos Arlésiennes, en faisant la différence de la couleur et du climat. Sont-ce là les nixes d’Henri Heine ou les cygnes des ballades scandinaves ? Elles sont très vives, très spirituelles même, et n’ont rien du calme flamand ; cependant on sent une certaine froideur sous cette animation, qui étincelle comme les prismes irisés de la neige aux rayons d’un soleil d’hiver.

En Hollande, on boit le café comme du thé ; seulement il est plus léger que chez nous. — Je sentis moi-même la nécessité d’en avaler plusieurs tasses, pour corriger l’amas de crème frite au beurre dont ces belles vous bourrent en éclatant de rire. — Capitaine, disent-elles, capitaine ! ah ! capitaine ! — Et l’on se laisse faire comme un enfant, en admirant ces jolies têtes couronnées, ces longs cous onduleux et ces bras blancs irrésistibles. — Pourquoi vous appellent-elles capitaine, exactement comme le font les jolies Grecques dans les Échelles du Levant ? C’est qu’elles sont aussi de la famille des antiques sirènes. Le long des quais sont rangés les bateaux qui transportent de ville en ville leurs kiosques chinois, que l’on démonte après les quinze jours de chaque kermesse. Le passant est toujours pour elles un navigateur, un Ulysse errant qui ne se méfie pas assez souvent des enchantemens de Circé. — Cela me fait souvenir qu’il existe au musée de La Haye trois sirènes à queues de poisson conservées en momies, et dont on serait mal venu à contester l’authenticité.

Sortons enfin de cette rue merveilleuse, et, laissant à droite la bibliothèque ; suivons encore les longues allées de la place jusqu’à l’opéra français. Des deux côtés règne une exposition d’horticulture où les arbustes fleuris de l’Inde et du Japon forment une haie délicieuse, bordée sur le devant des tulipes les plus rares. Ensuite recommence une nouvelle cité de barraques, de tentes et de pavillons destinés aux saltimbanques, aux hercules et aux animaux savans. La foule se pressait surtout devant une femme à deux nez et à trois yeux, dont l’un occupe le milieu du front. Ce dernier n’est pas très ouvert, mais les