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distinctes. La première a pour point de départ les œuvres épiques de Poussin et de Claude Lorrain, pour terme les compositions pédantesquement fastueuses des paysagistes disciples de Lebrun. Watteau et son école représentent la seconde époque, celle du paysage enjolivé par le caprice. La troisième commence à Joseph Vernet, qui entreprit de réagir à la fois contre les formes surannées du style académique et les licences de la fantaisie. Les peintres qui viennent après lui et leurs successeurs semblent craindre, tout en poursuivant cette révolution, d’en exagérer l’esprit : ils n’acceptent qu’une partie de ses conséquences et se prennent par momens à y mêler quelque ressouvenir des doctrines anciennes ; mais ces hésitations ne se résolvent jamais en négation formelle du principe réaliste, et la méthode tempérée des Valenciennes et des Michallon est le lien qui rattache encore la manière descriptive de Vernet à la manière purement imitative des paysagistes actuels. Il n’est pas inutile, on le voit, de suivre, dans les phases successives de notre école moderne, le développement tantôt lent, tantôt rapide du système qui triomphe si ouvertement aujourd’hui. Une série d’études sur les hommes qui en préparèrent le succès peut offrir quelque chose de plus qu’un simple intérêt de curiosité, et il ne sera pas sans à-propos de montrer dans Joseph Vernet le véritable réformateur du paysage en France, dans les peintres qui lui ont succédé les continuateurs de cette réforme.


I

On a vu qu’à l’époque de la régence et pendant les premières années du règne de Louis XV, la peinture de paysage n’était plus pratiquée dans notre école qu’en vertu de règles arbitraires, et par les moyens les plus contraires aux sérieuses conditions de l’art. Les peintres en renom, préconisant à peu près exclusivement l’avantage des procédés expéditifs, n’étaient certes pas d’humeur à enseigner l’amour naïf de la vérité et le respect des beautés naturelles. C’était le temps où l’un d’entre eux défendait à ses élèves d’étudier la nature « de peur de se fausser le goût, » où un autre, qui devait passer pour scrupuleux, autorisait cette étude une fois par semaine. On devine aisément ce que devenait l’ingénuité d’un jeune artiste soumis à un pareil régime. Joseph Vernet, né en 1714, n’aurait trouvé à Paris d’autres leçons que celles des continuateurs dégénérés de Watteau : il fut donc bien inspiré en se gardant d’y venir et en demeurant jusqu’à l’âge de la virilité à Avignon, sa ville natale. Peut-être cette inspiration ne lui était-elle pas tout-à-fait personnelle, et lui avait-elle été suggérée par son père, Antoine Vernet, peintre de fleurs et d’architecture, dont la manière ne se ressentait que fort peu des systèmes en vogue. À peine se