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Page:Revue des Deux Mondes - 1852 - tome 14.djvu/123

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rappelle-t-on aujourd’hui l’existence de cet artiste recommandable, véritable chef d’une famille d’où on l’a en quelque sorte exclu par une injuste comparaison. Inférieur à son fils et à ses descendans, il a été pour ce seul motif classé de droit parmi les artistes infimes, et l’on a fait tourner au préjudice de son propre mérite l’éclatante célébrité attachée depuis lui à son nom.

Sous la direction de ce sage maître, Joseph Vernet fit en quelques années des progrès assez importans pour attirer l’attention de ses concitoyens ; sa réputation s’étendit même au-delà des murs d’Avignon, et plusieurs villes du midi, où quelques-uns de ses paysages avaient été envoyés, lui offrirent à l’envi des encouragemens de toute sorte et une honorable hospitalité. « Ses talens, a dit un écrivain mieux placé qu’aucun autre pour connaître les particularités de la vie de Vernet[1], ses talens étaient connus et estimés dans sa province avant l’âge où chez d’autres on commence à en prévoir ; » mais le jeune artiste avait hâte de se produire sur un plus vaste théâtre, et, dédaignant ces triomphes faciles, il résolut d’aller chercher en Italie des excitations plus puissantes et des succès moins limités. Ajoutons qu’une petite aventure, assez semblable à celle qui devait quelques années plus tard blesser si vivement la susceptibilité de Rousseau, ne fut pas sans influence sur cette détermination. Vernet avait entrepris une peinture de décoration dans une maison appartenant à un haut personnage de la ville, et, selon la coutume du temps, il devait être nourri par celui-ci jusqu’à l’entier accomplissement de sa tâche. Il travaillait depuis quelques heures sans que rien parût annoncer encore qu’on songeât à exécuter la seconde clause du marché. Impatienté de ce retard, il en demande la cause un laquais lui répond qu’il a ordre de ne le servir que lorsque son maître aura quitté la table. Vernet ne dit mot ; mais il efface sans ébauche, rentre chez lui, et, pour se venger de cette humiliation ou éviter d’en subir de nouvelles, il jure de ne pas rester davantage à Avignon ; le lendemain, il était parti.

Il ne faisait d’ailleurs, en s’éloignant momentanément de son pays, que se conformer à un usage universel, à une loi encore plus impérative alors que de nos jours. Tout homme qui à cette époque aspirait au titre de peintre devait, sous peine de voir son talent perpétuellement mis en question, consacrer quelques années à un voyage en Italie ou plutôt à un séjour à Rome, — le reste, Florence, Naples et Venise, comptant généralement pour assez peu. À quelque genre qu’on se destinât, et les premières études achevées, on se mettait en route pour aller prendre une sorte de brevet qu’on revenait ensuite exploiter ;

  1. Feu M. Feuillet, bibliothécaire de l’Institut, proche parent de Joseph Vernet et auteur d’une Notice historique sur sa vie et ses travaux publiée au commencement de ce siècle.