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indigne à certains égards. M. Clesse est un ouvrier de Mons qui chante le soir, comme il le dit, pour se délasser des travaux de la journée. Content dans la situation où il vit, il fait lui-même son éloge en ne souhaitant pour ses vers que ce simple titre : « chansons d’un honnête homme ! » Sans doute il serait facile de reconnaître dans les Chansons de M. Clesse plus d’une imitation de la France. L’influence de Béranger y est sensible souvent. L’auteur ne se défend point toujours d’une certaine inspiration factice. Il y a là cependant un nombre suffisant de morceaux d’une vive et heureuse venue, où la chanson est tour à tour railleuse ou attendrie : — le Travail c’est la santé, — la Richesse du pauvre, — lorsque l’Hiver se prolongeait, — comment Joseph entend le communisme, etc. On pourrait aisément former, non sans doute une gerbe magnifique et splendide, mais une de ces poignées que les glaneuses trouvent encore à recueillir après les moissonneurs. M. Clesse, comme tous les chansonniers, a la fibre nationale sensible, et il n’a point été le dernier, tout récemment, à mettre en vers assez francs les ressentimens de la Belgique ; mais ici sommes-nous encore dans le domaine de la poésie ? Nous touchons tout au moins à la politique et à tout ce qui s’y rattache.

La Belgique, en effet, vient de voir se terminer les élections et de rentrer dans sa vie ordinaire. Peut-être serait-il à propos de se demander quelle influence réelle ont pu exercer sur ce mouvement électoral les manifestations dont la Belgique a été l’objet. Il ne serait point impossible que ces manifestations aient abouti à un résultat contraire à leur but et aient singulièrement aidé le cabinet de Bruxelles à intéresser en sa faveur le sentiment national froissé. On n’a point manqué d’en tirer un argument. Quoi qu’il en soit, dans leur ensemble, les élections sont loin encore d’avoir été favorables au ministère belge. Sur 54 nominations, il en a obtenu 33 ; 21 appartiennent au parti catholique. Le cabinet a perdu environ 10 voix, et c’est dans le Hainaut et les Flandres surtout qu’il a vu la fortune électorale se tourner ainsi contre lui. Si l’on compare ces élections à celles qui ont eu lieu jusqu’ici depuis que le ministère actuel est au pouvoir, il est facile de mesurer les progrès de sa décadence. Du reste, on le pense, cette lutte a été vive, et aucun moyen n’a été négligé, depuis les faveurs individuelles jusqu’aux inaugurations pompeuses de chemins de fer à la veille du scrutin. Il faut le remarquer, en Belgique, le théâtre étant restreint, les luttes des partis prennent un caractère particulier de vivacité, d’exagération, et, si l’on nous passe le terme, de provincialisme. Les questions de personnes, les commérages, y jouent surtout un grand rôle ; les transactions privées s’y multiplient ; les mœurs politiques y sont sujettes à des influences bizarres, dont l’intensité s’accroît par l’exiguïté même du cercle où elles s’exercent. Le dernier mouvement électoral de la Belgique n’a manqué d’aucun des caractères de ces luttes réduites à des proportions assez peu héroïques. Maintenant, en présence de la décroissance visible de sa fortune, le cabinet belge se retirera-t-il ? Il ne se retirera pas, parce qu’il l’a ainsi décidé après délibération. Il y a un sentiment qui paraît le dominer par-dessus tout, c’est l’amour du pouvoir. Il est parvenu à se persuader que seul il pouvait faire le bonheur du pays. Il se considère comme l’unique personnification du gouvernement possible en Belgique. Tout ce qui est dissident est presque à ses yeux traître ou ennemi. Le ministère belge actuel peut devenir, s’il n’y