Page:Revue des Deux Mondes - 1852 - tome 14.djvu/134

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

mât afin de mieux étudier la scène qu’il avait sous les yeux. Ce fait bien connu, et dont le pinceau d’un des descendans de Vernet a depuis long-temps popularisé le souvenir, clôt avec honneur la première partie d’une carrière déjà si pleine, et l’on aime à retrouver Joseph Vernet, dans toute la maturité de l’âge et du talent, plus enthousiaste encore de la nature, plus épris de son art que lorsque, vingt-deux ans auparavant, il admirait aux mêmes lieux le même spectacle, et y puisait ses premières inspirations.


II

À l’époque où Joseph Vernet arriva à Paris, l’école française comptait quelques artistes d’un mérite notoire et un grand nombre d’autres sur les ouvrages desquels l’attention commençait à se fixer. On était en 1752, c’est-à-dire au moment de la plus grande réputation de Carle et de Michel Vanloo, de Natoire, de Pierre, l’auteur des peintures de la chapelle de la Vierge à Saint-Roch, et de plusieurs peintres d’histoire d’abord beaucoup trop estimés, un peu trop dédaignés aujourd’hui. Nicolas Lancret, le plus habile des continuateurs de Watteau, et l’excellent peintre d’animaux et de nature morte François Desportes, venaient de mourir ; mais Chardin se montrait digne de les remplacer à lui seul, en traitant avec une habileté égale les deux genres que chacun d’eux n’avait fait que traiter isolément. Les portraits de Latour et de Lépicié, les tableaux de chasse peints par Oudry, les fleurs de Bachelier annonçaient des talens complètement formés, ou autorisaient l’espérance de talens nouveaux. Enfin on opposait déjà aux toiles lascives de Boucher les tableaux d’un jeune homme qui essayait d’introduire dans la peinture les conditions d’intérêt du roman, et Greuze, suivant l’expression de Diderot, « s’avisait le premier de donner des mœurs à l’art » qu’avaient dégradé l’abus de l’agrément et la recherche d’une grace lubrique. Seuls, les peintres de paysage demeuraient étrangers aux progrès de l’école. Ceux qui se distinguèrent à la fin du règne de Louis XV ne portaient encore que des noms ignorés : l’un d’entre eux, qui devait quelques années plus tard acquérir une réputation presque égale à celle de Vernet, Hubert Robert, sortait à peine de l’adolescence, et le futur peintre de ruines n’avait encore d’autre ambition que celle de devenir l’élève du peintre de marine ; Loutherbourg n’avait que douze ans, et Lantara n’en avait que sept. Vernet ne pouvait donc trouver de rivaux que parmi les peintres d’histoire, de scènes familières ou de portrait ; à vrai dire, il n’existait alors en France d’autre paysagiste que lui, et c’était uniquement de ses exemples qu’allait dépendre l’avenir d’un genre actuellement délaissé ou avili.

Il semble qu’afin de détrôner plus sûrement le faux goût qui régnait