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qui s’opère aujourd’hui. Le rôle de précurseur, en effet, lui appartient beaucoup plutôt que celui d’un initiateur souverain. Vernet n’était pas homme à pousser une révolution dans l’art jusqu’à ses dernières conséquences ; jamais il ne dut rêver, pour le paysage, une transformation radicale, comme la transformation que la peinture d’histoire allait bientôt subir ; il ne fut certes ni un chef aussi impérieux ni un novateur aussi accrédité que David, et cependant lequel de ces deux artistes a eu sur la marche de l’école française l’influence la plus durable ? Un quart de siècle s’est à peine écoulé depuis la mort du peintre des Sabines, et déjà il n’est plus pour nous que le représentant d’un art dont la tradition s’est perdue, un maître comme Lebrun, sans postérité vivante et sans correspondance avec les peintres de notre temps. La voie que le paysagiste ouvrait, il y a cent ans, est au contraire celle que l’on n’a cessé de suivre ; on en a seulement reculé les limites. Les principes qu’il avait importés en France dirigent encore notre école de paysage ; elle ne fait que les appliquer avec une plus stricte exactitude, une logique plus inflexible. Recueillis, non par des élèves de Vernet, — il n’en forma directement aucun, — mais par des artistes que ses ouvrages avaient éclairés à demi, ces principes se maintinrent d’abord à l’état de règle absolue et de progrès définitif ; puis les générations suivantes les développèrent graduellement. L’imitation complète de la réalité devint l’unique but que l’on se proposa d’atteindre, et d’effort en effort les paysagistes français ont réussi, depuis quelques années, à remplacer par un style rigoureusement vrai le style seulement vraisemblable de Joseph Vernet et des premiers continuateurs de sa méthode.


HENRI DELABORDE.