Page:Revue des Deux Mondes - 1852 - tome 14.djvu/178

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

parvint à réconcilier deux rivaux qui passaient à bon droit pour peu traitables, et pendant ce temps-là le peuple et le clergé de Rome, à qui appartenait l’élection des papes, l’élevaient à la chaire pontificale, quoiqu’il ne fût pas encore prêtre, tant ses vertus, dans l’estime publique, marchaient de pair avec ses talons. Depuis lors, il n’avait fait que grandir en expérience et en savoir par la pratique des affaires de l’église, qui embrassaient un grand nombre d’intérêts séculiers. L’histoire nous le peint comme un vieillard d’une haute taille et d’une physionomie noble que sa longue chevelure blanche rendait encore plus vénérable. C’était sur lui que l’empereur et le sénat comptaient principalement pour arrêter le terrible Attila. Il n’y avait pas jusqu’à son nom de Leo, lion, qui ne semblât d’un favorable augure pour cette négociation difficile, et le peuple lui appliquait comme une prophétie le verset suivant des proverbes de Salomon : « Le juste est un lion qui ne connaît ni l’hésitation ni la crainte. »

Les ambassadeurs voyagèrent à grandes journées, afin de joindre Attila avant qu’il eût passé le Pô ; ils le rencontrèrent un peu au-dessous de Mantoue, dans le lieu appelé Champ Ambulée, où se trouvait un des gués du Mincio. Ce fut un moment grave dans l’existence de la ville de Rome que celui où deux de ses enfans les plus illustres, un représentant des vieilles races latines qui avaient conquis le monde par l’épée, et le chef des races nouvelles qui le conquéraient par la religion, venaient mettre aux pieds d’un roi barbare la rançon du Capitole. Ce fut un moment non moins grave dans la vie d’Attila. Les récits qui précèdent nous ont fait voir le roi clos Huas dominé surtout par l’orgueil, et, si avare qu’il fût, plus altéré encore d’honneurs que d’argent. L’idée d’avoir à ses genoux Rome suppliante, attendant de sa bouche avec tremblement un arrêt de vie ou de mort, abaissant la toge des Valérius et la tiare des successeurs de Pierre devant celui qu’elle avait traité si long-temps comme un barbare misérable, employant en un mot pour le fléchir tout ce qu’elle possédait de grandeurs au ciel et sur la terre cette idée le remplit d’une joie qu’il ne savait pas cacher. Se faire reconnaître vainqueur et maître, c’était à ses yeux autant que l’être en effet ; d’ailleurs il humiliait Aëtius, dont il brisait l’épée d’un seul mot. Sa vanité et celle de son peuple se trouvaient satisfaites, et il pouvait repartir sans honte. Sous l’influence de ces pensées, il ordonna qu’on lui amenât les ambassadeurs romains, et il les reçut avec toute l’affabilité dont Attila était capable.

Pour cette entrevue solennelle, les négociateurs avaient pris les insignes de leur plus haute dignité ; l’histoire nous dit que Léon s’était revêtu de ses habits pontificaux, et une révélation de la tombe nous a fait connaître en quoi ce vêtement consistait. Léon portait une mitre de soie brochée d’or, arrondie à la manière orientale, et, par-dessus sa