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Pour retourner chez lui, il ne prit pas, comme en venant, la route des Alpes Juliennes, de peur de rencontrer, au débouché des montagnes, l’armée que Marcien venait d’envoyer en Pannonie : remontant le cours de l’Adige, il suivit celle des Alpes Noriques, et ses soldats, malgré la conclusion de la paix, pillèrent la ville d’Augusta, Ausbourg, qui se trouvait sur leur chemin. Au passage de la rivière de Lech, qui coule près de cette ville et se perd dans le Danube, un incident singulier jeta parmi les Huns une sorte d’inquiétude superstitieuse. À l’instant où le cheval du roi entrait dans l’eau, une femme d’une figure étrange et d’un accoutrement misérable, telle qu’on pourrait se peindre les sorcières de la Pannonie ou les druidesses de la Gaule, se précipita au-devant de lui, et, le saisissant à la bride, s’écria par trois fois d’un ton de voix solennel : « Arrière, arrière, Attila ! » comme pour signifier que quelque grand danger attendait le roi des Huns au but de son voyage. Au reste, les soldats jugeaient assez diversement l’issue de la guerre qui venait de finir. Ils n’avaient pas vu sans quelque surprise un prêtre romain obtenir de leur roi ce que celui-ci avait obstinément refusé aux remontrances de ses capitaines, et, se rappelant qu’il avait empêché le pillage de Troyes l’année précédente à la prière de l’évêque Lupus, saint Loup, ils disaient dans leurs grossières plaisanteries qu’Attila, invincible vis-à-vis des hommes, se laissait dompter par les bêtes.

L’armée romaine orientale occupait déjà la Mésie, toute prête à attaquer le pays des Huns ; mais, lorsqu’elle apprit que la paix avait été définitivement conclue entre Attila et l’empire d’Occident, elle s’abstint de toute hostilité : Toutefois Attila fit prévenir Marcien qu’il irait le trouver au printemps prochain, dans son palais de Constantinople, si le tribut convenu autrefois par Théodose II n’était pas immédiatement payé. Marcien, qui n’était pas homme à céder comme Valentinien, répondit aux menaces par des menaces contraires, aux levées de troupes par des préparatifs de défense. Quelques batailles livrées aux Alains du Caucase, qui s’étaient révoltés en son absence, terminèrent pour Attila cette année 452. Jornandès, par une singulière confusion que semble produire dans son esprit la similitude des noms, transforme la guerre dont je viens de parler contre les tribus alaniques de l’Asie en une seconde campagne des Gaules, dirigée contre Sangiban et les Alains de la Loire, et même contre les Visigoths. L’erreur est trop manifeste pour avoir ici besoin d’une réfutation. L’ensemble des documens historiques atteste qu’Attila passa tranquillement l’hiver sur les bords du Danube, faisant de grands apprêts pour l’année 453 ; mais, dans les desseins de la Providence, cette année ne lui appartenait déjà plus.