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ce démembrement du pouvoir central s’opérait toujours au profit des conseils électifs. Il est aisé de pressentir que ce n’est point là le genre de décentralisation que consacre le récent décret. On peut même remarquer que le nom des conseils-généraux et des conseils municipaux n’y est point prononcé. Ce que le décret décentralise en maintenant l’unité absolue de l’action politique, c’est l’autorité administrative. Le pouvoir central se dépouille, mais il se dépouille simplement au profit de l’autorité préfectorale. Le préfet a le droit de nomination dans un certain ordre de fonctions secondaires. On peut voir dans le décret le nombre et la variété d’intérêts locaux auxquels s’étend sa juridiction en quelque sorte souveraine. En un mot, « gouverner de loin, administrer de près, » voilà la pensée du gouvernement. Telle qu’elle est, cette mesure est encore une amélioration notable du régime auquel elle vient mettre fin. Le résultat le plus immédiat qui en ressort pour le moment, c’est la grande position qu’elle rend aux préfets, — et, comme conséquence de cet agrandissement de position pour les préfets, vient l’augmentation de leurs appointemens, élevés aujourd’hui à un chiffre proportionné à leur rôle. Que reste-t-il maintenant à faire ? Il reste vraiment le plus difficile ; il reste à n’employer que des hommes au niveau de cette situation politique et matérielle, qui sachent faire de la décentralisation un bienfait pour les populations et non un simple déplacement de la tyrannie bureaucratique, un instrument de vexations nouvelles qui n’auraient d’autre mérite que de venir d’une source plus rapprochée. Ce n’est point une petite chose que le choix des hommes dans un gouvernement où leurs prérogatives sont immenses.

Au milieu de toutes nos transformations, il y a quelque chose à remarquer, c’est cette promptitude du pays à se plier d’un jour à l’autre aux conditions les plus opposées, aux jougs les plus divers. Serait-ce que la société française porte en elle-même comme un germe inépuisable de malaise qui fait qu’elle se lasse de tout, même du bonheur, pour se laisser précipiter dans les tempêtes, et qu’elle se lasse naturellement plus vite encore de ces tempêtes, acceptant tout ce qui lui promet un peu de repos, se prêtant à tout, sans jamais parvenir à se fixer ? Sans doute, au milieu de cette confusion et de ces réactions, il y a des goûts, des instincts, des habitudes qui tiennent profondément au cœur du pays, plus peut-être qu’il ne pense lui-même, et qui se perpétuent invinciblement à travers tous les régimes. À un certain point de vue cependant, il n’est pas de pays où les coups de foudre transforment plus soudainement l’atmosphère morale ou politique. C’est surtout dans l’ordre intellectuel que cela est sensible. Toutes les conditions de popularité et de succès se trouvent subitement changées. Que de choses vieillissent en un jour par le simple fait d’un événement ! Et heureusement les plus mauvaises ne sont pas celles qui vieillissent le moins. Voyez ce volume nouveau de l’Histoire de la Révolution française de M. Louis Blanc. M. Louis Blanc commençait son ouvrage il y a cinq ans, dans un temps où la mode était aux réhabilitations révolutionnaires et aux synthèses humanitaires. Cette histoire, avec un autre pamphlet du même genre, fit un jour de l’auteur un des maîtres de la France, un dictateur populaire ; elle nous apparaît aujourd’hui, dans ce volume nouveau, comme une larve de la révolution de février. Singulier moment pour une telle œuvre ! On ne saurait imaginer l’effet que produit sur l’esprit le contraste de ce livre avec le moment où il parait. La