Page:Revue des Deux Mondes - 1852 - tome 14.djvu/194

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

disparaissent du monde après être disparus de la scène publique. Il y a quelques jours mourait obscurément un homme qui a été cependant un des dictateurs de la France et le président d’une assemblée souveraine, M. Armand Marrast. Il est mort un peu après la révolution de février elle-même, qui était quelque peu sa fille. Si l’esprit pouvait faire vivre une révolution, M. Armand Marrast eût été, sans nul doute, un de ceux qui eussent assuré quelque durée à celle de 1848. M. Armand Marrast surtout est un des types du journalisme contemporain, un des polémistes qui ont prodigué le plus de verve dans cet assaut d’injustices livré durant vingt années à l’ancien gouvernement. La destinée de tels hommes est de périr tout entiers. Au même instant s’éteignait, hors de France, un autre personnage d’un autre temps et qui a joué un bien autre rôle, le duc de Raguse. Soldat de l’empire, environné d’honneurs sous la restauration, le maréchal Marmont s’était deux fois trouvé sous le poids d’une fatalité singulière. En 1814, il avait été l’un des instrumens de la chute du régime impérial,’ qui l’avait fait ce qu’il était ; en 1830, il ne pouvait sauver de la révolution la monarchie qui lui avait confié sa défense, — et dans les deux cas sa fidélité s’était trouvée en butte à des doutes injurieux. C’est depuis 1830 qu’il avait quitté la France, bien que comptant encore comme maréchal dans notre armée. Le duc de Raguse est mort à Venise, et laisse, assure-t-on, des mémoires qui devront nécessairement éclairer les deux circonstances les plus caractéristiques de sa vie. Étendez maintenant votre regard hors de la société française jusqu’à Saint-Pétersbourg. Là encore vient de mourir tout récemment un homme qui n’était ni un journaliste, ni un soldat, mais qui était un des premiers écrivains de la Russie : c’est Nicolas Gogol. Ce qui distinguait le talent de l’écrivain russe, c’était une rare puissance d’analyse, un don particulier de pénétrer la réalité et de la reproduire. Tel est le caractère de ses ouvrages, des Veillées de la Ferme, de l’Inspecteur, des Ames mortes, de Mirgorod, du Manteau. Des études récentes, on s’en souvient, avaient naturalisé ce remarquable talent dans la littérature française. Une circonstance singulière a signalé la fin de cet homme éminent, qui à son esprit joignait un sentiment profondément religieux. Gogol n’avait aucun symptôme extérieur de maladie, mais il se sentait agité d’un triste pressentiment. Il fit appeler un pope, lui confessa qu’il allait mourir et qu’il avait besoin d’être administré ; mais c’était un jour où il fallait pour cette cérémonie une autorisation spéciale du métropolite. L’autorisation fut demandée par le pope, qui s’efforçait vainement de rassurer l’écrivain. Gogol reçut les sacremens religieux, et, ce qui est plus bizarre, c’est qu’en effet quelques heures après il était mort.

En Angleterre, le cabinet tory s’affermit de plus en plus ; toutes les velléités d’opposition sont tombées les unes après les autres, et les membres du parti whig ou radical qui s’étaient le plus avancés et qui semblaient tout prêts à aller en guerre contre le nouveau cabinet se sont rétractés un à un. « A merveille, disait dernièrement M. Disraëli dans une discussion où tous ses adversaires étaient venus les uns après les autres renier leurs paroles et leurs intentions premières ; à merveille, tout le monde se retire de l’opposition. » L’opposition de la chambre des communes avait compté sur son mécontentement et sur sa force numérique ; mais elle avait compté sans les scrupules qui ne pouvaient manquer de l’assaillir au moment décisif : elle n’a pas eu, et nous l’en félicitons