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hautement, ce courage révolutionnaire que nos orateurs et nos hommes politiques ont eu trop souvent pour notre malheur, ce courage qui consiste à ne pas reculer lorsqu’on s’est trop avancé. On a pu croire un instant que le cabinet allait succomber sans avoir même pu exposer son programme. — Nous vous connaissons, disait l’opposition, et nous vous ferons de la résistance quand même. Vous êtes un cabinet de réaction. — En vain le cabinet protestait de ses intentions pacifiques pour le présent ; en vain, tout en s’avouant protectioniste, il déclarait qu’il ne ferait rien sans consulter la nation. — Nous ne voulons pas nous laisser surprendre par vous, reprenait l’opposition ; nous ne voulons pas vous laisser choisir l’heure et le moment : nous sommes les plus forts, résignez-vous à périr. — Dans son ardeur, l’opposition aurait presque demandé au cabinet non-seulement de ne rien entreprendre contre ses principes à elle opposition, mais de les adopter et de les appliquer.

Les motifs de cette opposition étaient si puérils, ils étaient si évidemment le résultat des passions et du mécontentement des partis, que le cabinet en a aisément triomphé. Ni le comte Grey dans la chambre des lords, ni lord John Russell à la chambre des communes, ni M. Cobden dans ses chers meetings, n’ont pu réussir à passionner le pays assez fortement pour engager l’opinion à se prononcer contre un cabinet nécessaire. L’opposition a été jugée par le pays comme elle méritait de l’être, et elle e pu entendre prononcer à son endroit l’épithète de factieuse. Aucune de ses manœuvres n’a réussi, aucune de ses menaces n’a effrayé ; ni la motion de M. Villiers, ni la souscription ouverte par la ligue n’ont ébranlé le cabinet. Cette dernière campagne parlementaire n’ajoutera certes rien à la gloire de lord John Russell, et peut-être lui sera-t-elle dans l’avenir une difficulté. Quand on n’a pu jamais, pendant six années, avoir une majorité dévouée, quand on a été obligé, pour durer, de s’appuyer, tantôt sur les votes et la parole des amis de Robert Peel, tantôt sur les votes et la parole des radicaux, on n’a pas le droit de se montrer envers ses successeurs aussi exigeant. Lord John Russell réunira toujours une majorité d’opposition, jamais il ne formera une majorité de gouvernement. Ses passions peuvent faire de lui un leader excellent, et sont assez fortes pour exercer une ; attraction puissante sur toutes les passions voisines, pour les grouper et les mener au combat ; mais, il a plus d’une fois pu le reconnaître, cette force l’abandonne lorsqu’il est appelé au pouvoir. Lord John Russell est condamné à ne jamais être fort que par ses défaites et à périr par ses triomphes. Plus tard, il aura peut-être sujet de se repentir de ses dernières imprudences, lorsque ses alliés d’aujourd’hui viendront lui rappeler ses promesses ; il s’est inféodé maintenant aux radicaux ; au lieu des avances raisonnables qu’il leur avait faites naguère, il leur a donné des promesses formelles. Les tiendra-t-il et voudra-t-il les tenir ? S’il les tient, il achèvera de tuer son parti déjà si faible ; s’il ne les tient pas, il est menacé de s’entendre appeler des noms les plus durs jusqu’au dernier jour de sa carrière politique.

Le cabinet tory du reste a beaucoup modéré son ardeur, et il a abdiqué beaucoup de ses prétentions. Il a pu voir que, si l’Angleterre n’approuvait pas l’opposition qui lui était faite, elle n’approuverait pas davantage une politique qui tendrait à revenir sur les dernières mesures de sir Robert Peel. Il a tâté le pouls du pays, et il a pu se convaincre de son invincible attachement à la politique