Page:Revue des Deux Mondes - 1852 - tome 14.djvu/200

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
192
REVUE DES DEUX MONDES.

demander comment les gouvernemens européens ont échoué là où le Brésil a réussi. Cela est assez simple : c’est que malheureusement cette question de la Plata, qui a duré quinze ans, s’est trouvée constamment mêlée de toute sorte d’élémens étrangers à la question même. L’ancien gouvernement français en avait fait un problème insoluble qui consistait à vouloir faire la guerre à Rosas sans prendre les moyens nécessaires pour mener à bout cette guerre. La paix, la paix décidée, ferme, avec ces pays et avec le dictateur de Buenos-Ayres lui-même, était une politique, nous le croyons ; ce qui n’en était point une, c’était un système permanent d’hostilités, de querelles, de négociations, sans ressources suffisantes offertes à nos négociateurs pour faire prévaloir l’intérêt de la France, si on le croyait engagé dans une lutte avec Rosas. C’était la pensée de M. l’amiral Baudin, en 1840, lorsqu’au moment de partir pour la Plata, il se démettait du commandement de l’expédition, parce qu’on lui refusait tout moyen sérieux et effectif d’action. Le succès du Brésil aujourd’hui est d’autant moins fait pour surprendre d’ailleurs, que dix ans de plus se sont passés, dix ans pendant lesquels la lassitude a fini par gagner les populations argentines et Rosas lui-même peut-être. La trahison n’était point affichée autour du dictateur, mais elle s’amassait lentement et n’attendait qu’un moment pour éclater. Son pouvoir s’est affaissé et a disparu au premier choc d’une force organisée.

Maintenant, il s’en faut bien que tout soit résolu sur les bords de la Plata. Ici, au contraire, commencent les questions les plus difficiles, et la première de toutes, c’est celle de l’organisation même de la République Argentine. On attribue au général Urquiza l’intention de réunir un congrès qui décidera toutes les questions politiques. Le danger qu’ont à éviter les hommes qui succèdent au général Rosas, c’est de recommencer les fautes du parti unitaire d’autrefois. L’expérience a pu les éclairer et leur montrer que les imitations de l’Europe ne répondent dans ce pays à rien de réel. C’est sur le développement de la richesse, de l’éducation, de tous les intérêts en un mot, que leur attention peut le plus utilement se porter. Quant à la France, qui se trouvait encore engagée dans des négociations sans fin avec l’ancien dictateur, elle est aujourd’hui délivrée d’une question qui a pesé d’un poids fatal sur son budget, et même, à quelques égards, sur sa bonne renommée dans ce pays. Nous ne nous faisons point illusion sur les avantages merveilleux qu’on se promet dès aujourd’hui de la liberté de navigation fluviale dont le Brésil s’est fait le promoteur ; mais il reste toujours sur les bords de la Plata un mouvement de commerce considérable, des populations françaises nombreuses, des industries qui vont chaque jour croissant, et c’est là surtout, dès ce moment, ce qui doit appeler la sollicitude et la protection des gouvernemens.

CH. DE MAZADE.


V. de Mars.