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le jour de sa fête, « il brilla comme un soleil, répandant les ramis d’une lumière divine sur sa patrie couverte des ténèbres de l’idolâtrie. » Les immenses travaux accomplis par Grégoire pendant le cours de sa prédication, la conversion du roi Tiridate opérée à sa voix, ses vertus, ses longues souffrances, son martyre, et surtout l’influence bienfaisante qu’il exerça sur la civilisation de son pays, ont fait de lui pour les Arméniens un saint tout national. Sa mission fut le signal non-seulement de leur régénération morale, mais encore d’une complète rénovation intellectuelle. C’est le christianisme qui a créé leur littérature, et qui, les invitant à l’étude de la langue grecque, parlée par leurs premiers instituteurs religieux, les initia à la connaissance des chefs-d’œuvre qu’elle a produits, et leur enseigna à les imiter. L’esprit grec ou occidental, l’esprit chrétien anime, en effet, toute cette littérature, et lui a donné ces formes savantes, cette allure chaste et contenue qui la distinguent entre toutes celles des peuples de l’Asie occidentale, ce caractère positif et sévère qui l’a entraînée de préférence vers le genre historique, dans lequel elle est si riche.

Au milieu des révolutions qui agitèrent l’Arménie jusqu’à sa régénération accomplie par le christianisme, la poésie populaire, qui avait disparu avec la première dynastie issue de Haïg, se ranima sous les deux princes arsacides, Artaxès II et son fils Artabaze, et, après avoir jeté un éclat assez vif, mais très rapide, elle s’éteignit à jamais. Le règne d’Artaxes, qui ne fut pas sans gloire, ainsi que la destinée bizarre et la tira dramatique d’Artabaze, expliquent suffisamment cette résurrection momentanée de la muse arménienne. Les divers événemens survenus dans les lieux où sa voix se fit entendre permettent aussi de déterminer les causes qui mirent fin à ses créations. Depuis la guerre de Mithridate, les armées romaines avaient plus d’une fois foulé le sol de l’Arménie, et ses habitans ne cessèrent d’être en contact avec le monde occidental ; la connaissance de la langue grecque et celle des dogmes du christianisme commençaient déjà à se faire jour parmi eux. Ce nouveau courant d’idées dut contribuer sans doute à arrêter celui qui prenait sa source dans les inspirations du génie oriental, et éteindre la verve des bardes nationaux. Ils cessèrent de chanter lorsque le christianisme eut proscrit les traditions antiques et essentiellement païennes dont s’alimentaient leurs vers. Cependant le goût des masses pour ces souvenirs de leurs pères ne s’effaça pas tout à coup après la prédication de saint Grégoire l’Illuminateur. Il était encore dans toute sa force deux cents ans plus tard, au Ve siècle de notre ère, non-seulement parmi les classes inférieures de la société, mais encore à ses degrés les plus élevés. Moïse de Khorène reproche bien des fois au prince Isaac de la noble famille des Bagratides, pour lequel il composa son livre, un amour exagéré des légendes orientales qu’il qualifie de contes absurdes,