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et lorsque l’âge de la poésie populaire était déjà sur son déclin. Ajoutons qu’il manqua à ces deux pays, comme à l’Arménie, un homme d’un génie assez puissant pour coordonner ces matériaux et en construire un édifice semblable à celui qu’élevèrent Homère dans la Grèce, Firdoussy en Perse, Yyasa et Valmiki dans l’Inde. Ce que j’ai dit suffira pour prouver que la faculté épique, que la nature a départie à la famille indo-européenne à l’exclusion des peuples d’autre race, n’a point non plus fait défaut aux Arméniens, et que cette faculté, comme leur langage et les traits de leur conformation physique, trahit leur descendance de cette famille.

La poésie arménienne, quoique basée sur des traditions de cette nature, fat, par sa forme, essentiellement lyrique. Cette forme est celle qu’elle a revêtue dès la plus haute antiquité, qu’elle avait au temps de Moïse de Khorène, et qui lui est restée dans les âges postérieurs, même sous la loi de l’Evangile. Les courts fragmens que cet auteur a sauvés de l’oubli accusent, pour la plupart, quant au fond de la pensée, une intention épique ; mais par les allures du style et le rhythme, autant du moins que nous pouvons le reconstruire aujourd’hui, ils procèdent du genre lyrique. On pourrait peut-être remonter à l’idée de ce que fut cette primitive poésie en étudiant celle du Schaaegan ou livre des hymnes de l’église arménienne, recueil qui contient plusieurs pièces dont la rédaction date du Ve siècle, époque où retentissaient encore les anciens refrains populaires. La nouvelle poésie, fécondée par le spiritualisme chrétien comme l’ancienne l’avait été par les hauts faits des héros ou par les mythes du paganisme, se montre à nous dans le Scharagan quelquefois pleine de fraîcheur et d’une onction suave et pénétrante, et quelquefois aussi d’une rare élévation ; mais autant son vol est hardi dans l’ode sacrée, autant elle se traîne humble et languissante dans les poèmes de longue haleine, enfantés dans les XIe, XIIe et XIIIe siècles, âge de décadence pour la langue et le goût, et de ruine pour le pays. Dépouillant son antique simplicité pour se surcharger d’ornemens, elle substitua à un mode de versification dont la mesure variée se prêtait admirablement à l’expression lente ou rapide, douce ou énergique de la pensée, un système uniforme par le nombre toujours le même des syllabes, par une césure invariable et par le retour perpétuel d’une même assonance finale. Un orientaliste d’une érudition aussi étendue que solide, Saint-Martin, pensait que les vers monorimes des Arméniens ne sont qu’une imitation du même genre de poésie alors très en vogue parmi les Français, et dont ceux-ci leur avaient fourni le modèle au milieu des rapports continuels et si étroits qu’ils entretinrent avec eux pendant les croisades. Cependant un poète arménien moderne, qui est aussi un critique très ingénieux, le révérend père Arsène, membre de la congrégation des Mekhitaristes de