Page:Revue des Deux Mondes - 1852 - tome 14.djvu/249

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Thveliatz ou chants de nombre, c’est-à-dire chants métriques, il faut se reporter à ce que nous avons dit du Scharagan ou hymnaire arménien. Nous avons cherché, d’après le caractère des pièces contenues dans ce livre, à nous faire une idée de ce que dut être, au point de vue esthétique, la poésie populaire dans l’Arménie païenne. Le même recueil peut aussi nous guider dans nos conjectures sur la formation et la facture de cette primitive poésie. La prose rhythmique et cadencée paraît en avoir été le point de départ. Cette prose fut ensuite coupée en vers ou lignes d’un nombre déterminé de syllabes ; on divisa ces syllabes en pieds ou mesures ; enfin, vers le xi- siècle, on y introduisit la rime. Le Scharagan nous offre des pièces appartenant à ces divers ordres de composition, et qui sont toutes appropriées au chant ou plutôt à une sorte de récitatif. Les Ierk Thveliatz pouvaient être des poésies dont la versification se réglait sur le nombre des syllabes et peut-être aussi sur la division de ces syllabes en pieds, à la différence des chants, qui ne consistaient qu’en une prose cadencée et qui furent sans contredit les plus anciens de tous.

Il y avait en troisième lieu les Ierk Panitz ou Ierkarank Panavork, littéralement chants de raison. Cette dénomination conduit à penser que l’allégorie en était bannie, qu’ils étaient d’une contexture simple et naturelle, et conçus dans une pensée morale. Moïse de Khorène cite la légende qui circulait sur le compte d’un personnage appelé Dork, que le roi Valarsace établit préfet des contrées de l’occident et que l’on comparait, pour sa haute taille et sa vigueur extraordinaire, au fameux héros des traditions persanes, Roustem, qui pouvait tenir tête à cent vingt éléphans. L’auteur arménien remarque à ce propos que, par une idée fort malentendue, on célébrait Dork dans un chant de raison où sa force et son courage étaient vantés avec exagération. Il est évident qu’il a voulu mettre en contraste la tendance positive ou morale de ces sortes de chants avec le caractère fabuleux des prouesses de Dork, et montrer l’inconvenance de l’application qui en avait été faite à un pareil sujet.

Il nous reste maintenant à parcourir le livre de cet historien, afin de relever les fragmens de poésies populaires qu’il y a insérés et les légendes auxquelles elles servaient de cadre. Pour relier ces fragmens épars, nous suivrons l’ordre chronologique des faits auxquels ils se rattachent, et qu’il a consignés dans sa narration. En examinant avec quelque attention ceux de ces récits qu’il doit à Mar Iba Katina, il est impossible de ne pas être frappé du ton épique qui y règne, et qui atteste qu’ils ne sont qu’une reproduction de ces chants historiques anonymes dont parle le vieil écrivain syrien, et que les monarques d’Assyrie avaient fait recueillir. S’il est difficile d’accorder à ces poésies la même antiquité qu’aux héros qu’elles mettent en scène, et qui, en