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de touristes anglais, un cimetière, un musée, un nuage qui passe, un numéro de journal trouvé sur la table de l’auberge, rien n’échappe à son ironie. On ne traite que gravement et compendieusement dans son pays les questions relatives aux choses publiques : lui, il s’en empare d’un mot, et d’un mot aussi il perce les ballons gonflés de vent. Malheur à la grave Allemagne sous son bonnet de docteur ! malheur aux clergés ignorans, aux aristocraties infatuées, aux philosophes abstrus ! malheur aux teutomanes dont le patriotisme haineux repousse, avec l’esprit de la France, la bonne nouvelle de 89 ! C’est 89 qui sert de guide à l’humoriste au milieu de ses folies étincelantes. Le guide disparaît quelquefois, l’auteur semble perdu dans ses imbroglios ; ne craignez rien, il retrouvera sa route. Ce qui est propre à M. Henri Heine, ce qui marque cette initiation d’un caractère vraiment original, c’est l’union de la grace enfantine avec les pensées hardies. Il parle comme parlent les vieilles légendes populaires au moment même où il secoue l’arbre de la science du bien et du mal et en fait goûter le fruit amer à l’innocente Allemagne. Un soir, dans les montagnes du Harz, il était allé visiter une pauvre famille de mineurs. Le père et la mère dormaient. Pendant ce temps, il causait dans la chambrette éclairée par la lune avec une jolie petite fille aux yeux bleus, aux cheveux blonds, qui avait bien peur des fantômes et des mauvais esprits au fond de ces solitudes désolées. « Ne crains rien, chère petite, je conjurerai les mauvais esprits. — Toi 1 oh ! tu n’es pas, je le crains, de ceux qui passent leur vie à prier et que Dieu rend puissans par sa grace. Si ton regard est doux, ton sourire est moqueur ; tu ne crois pas, comme moi, au Père, au Fils et au Saint-Esprit. » Alors le poète :


« Ah ! chère enfant, quand je reposais tout petit sur les genoux de ma mère, déjà je croyais à Dieu le Père, qui règne là-haut, si bon et si grand ;

« A Dieu, qui a créé la belle terre et les beaux hommes qui sont dessus, qui a assigné leur marche aux soleils, aux lunes et aux étoiles.

« Quand je fus plus grand, chère enfant, je compris encore davantage, je compris, je devins raisonnable, et je crus aussi au Fils,

« Au Fils chéri qui, en aimant, nous révéla l’amour, et pour prix de ce bienfait, comme c’est l’usage, fut crucifié par le peuple.

« Aujourd’hui que je suis homme, que j’ai beaucoup lu, beaucoup voyagé, mon cœur se gonfle, et de tout mon cœur je crois au Saint-Esprit.

« Celui-ci a fait les plus grands miracles, et il en fait de plus grands encore chaque jour ; il a brisé le château du tyran, il a brisé le joug de l’esclave ;

« Il guérit de vieilles blessures mortelles, il renouvelle l’antique droit : tous les hommes, nés égaux, ne forment plus qu’une seule race noble ;

« Il dissipe les mauvais brouillards et les fantômes ténébreux qui nous gâtaient l’amour et la joie, et se raillaient de nous jour et nuit.

« Mille chevaliers bien équipés ont été élus par le Saint-Esprit pour accomplir sa volonté, et il a armé leur ame de courage.