Page:Revue des Deux Mondes - 1852 - tome 14.djvu/26

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

« Leurs bonnes épées brillent au soleil, leurs bonnes bannières flottent au vent. N’est-ce pas que tu voudrais bien, chère enfant, voir un de ces fiers chevaliers ?

« Eh bien ! regarde-moi, chère enfant, embrasse-moi, regarde-moi sans crainte ; je suis un de ces chevaliers du Saint-Esprit ! »


Voilà M. Henri peine en ses meilleurs jours. Dans ce tableau naïf et audacieux, ne reconnaissez-vous pas le rêveur élevé à l’école du romantisme, qui emploie le langage des Brentano et des Arnim pour exprimer les pensées les plus fières, le poète révolutionnaire catéchisant l’enfantine Allemagne ? Un tel rôle était original, et M. Heine l’a souvent bien compris. Pourquoi faut-il qu’il n’ait pas toujours gardé la mesure ? pourquoi sa verve, en attaquant l’hypocrisie et l’arbitraire, a-t-elle si peu respecte tant de choses saintes ?

Une des inspirations fondamentales des Reisebilder, c’est l’amour de la France et le sentiment le plus vif des grandeurs du consulat et de l’empire. Ce sentiment, qui date de loin, atteste chez M. Peine une singulière liberté d’esprit. On sait comment la légitime révolte des peuples allemands contre le joug de Napoléon amena plus tard de déceptions cruelles. M. Henri Heine, au milieu des entraînemens de la jeunesse, n’a jamais été dupe des illusions du teutonisme. C’était l’heure où sortait des universités la grande insurrection nationale ; c’était l’heure où Fichte appelait ses élèves au combat, où la lyre se mariait à l’épée, où Rückert, Arndt, Schenkendorf, rangeaient en bataille leurs poésies armées de fer ; c’était l’heure où Théodore Koerner mourait frappé d’une balle au front en chantant la Chasse de Lutzow. De 1813 à 1815, l’enthousiasme va grandissant, et, quand Napoléon tombe à Waterloo, l’Allemagne entière bat des mains. M. Henri Heine avait vu tout enfant les armées françaises sur le sol de son pays ; nos soldats étaient pour lui les missionnaires de 89. En 1815, au moment où l’Europe coalisée triomphe, ce poète de seize ans écrit son admirable pièce des Grenadiers. Deux grenadiers reviennent de Russie, ils apprennent la triste nouvelle : la grande armée est vaincue, l’empereur est prisonnier. L’un veut poursuivre sa route pour retrouver sa femme et ses enfans, l’autre sent toutes ses blessures qui se rouvrent : « Si je meurs, camarade, porte mon corps jusqu’en France ; place sur ma poitrine la croix d’honneur avec le ruban rouge ; mets-moi mon fusil dans la main et mon sabre au côté ; comme une sentinelle, j’attendrai ainsi dans la fosse jusqu’à ce que j’entende le bruit des canons et les hennissemens des chevaux de bataille. Alors, quand mon empereur passera sur mon tombeau, je me dresserai tout armé pour défendre l’empereur, l’empereur, l’empereur ! »

Voilà ce que chantait le jeune poète de Düsseldorf avant que Beranger eût célébré le Vieux Drapeau, le Vieux Sergent, le Cinq Mai et