Page:Revue des Deux Mondes - 1852 - tome 14.djvu/253

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

(384 à 386 de Jésus-Christ), par le gouverneur de ce prince, Pad Saharouni, lequel voulait enlever à Mouschegh la charge de commandant des troupes, et qui, de complicité avec le roi, le tua dans un festin offert par ce dernier à sa noblesse. « Lorsque l’on eut apporté, raconte l’historien, le corps du général Mouschegh dans sa maison, chez ses parens, ceux-ci ne croyaient pas à sa mort, quoiqu’ils lui vissent la tête séparée du tronc ; ils disaient : « Mouschegh a affronté bien des fois les hasards de la guerre, et jamais il n’a reçu de blessure ; jamais flèche ne l’a atteint, ni arme ennemie ne l’a percé. » Quelques-uns d’entre eux espéraient le voir ressusciter ; ils réunirent la tête et le tronc, qu’ils transportèrent sur la plate-forme d’une tour. Ils disaient : « C’était un brave, et les Arlêz[1] descendront et lui rendront la vie. » Ils restèrent à garder son corps jusqu’à ce qu’enfin il tomba en putréfaction ; alors, versant des larmes, ils l’enterrèrent suivant les rites consacrés.

La mort de Sémiramis était aussi un des thèmes favoris des bardes arméniens. Cette princesse avait l’usage d’aller, pendant les chaleurs de l’été, dans le nord, habiter sa ville de Schamiramaguerd, sur le bord oriental du lac de Van, et elle avait préposé le mage Zoroastre (Zerataschd), qui était à Ninive le chef des Mèdes, au gouvernement de l’Assyrie. Il se révolta contre elle, la défit et la força de se réfugier en Arménie. « Les légendes de notre pays, dit Moïse, confirment le récit du docte syrien Mar Iba Katina ; elles racontent que l’issue malheureuse de cette guerre fut suivie de la mort de Sémiramis. Elles peignent sa fuite à pied, et sa soif ardente, et son empressement à trouver de l’eau et à se désaltérer, et lorsque des soldats, l’épée à la main, arrivent sur ses traces, le jet du talisman dans la mer (de Van). C’est de là qu’est restée dans la tradition cette phrase : — « Les perles de Sémiramis dans la mer. — Aimes-tu les fables ? Il y a celle de Sémiramis changée en pierre bien avant Niobé. »

Un portrait évidemment dessiné d’après nature que nous a laissé cette vieille poésie arménienne est celui du neuvième des souverains descendans de Haïg, Tigrane (Dikran) Ier, l’un des princes les plus illustres de cette dynastie : « Héros aux cheveux blonds, argentés par le bout, au visage coloré, au doux regard (littéralement, à l’œil de miel) ; ses membres étaient robustes, ses épaules larges, sa jambe alerte, son pied bien tourné ; toujours sobre dans ses repas et réglé dans ses plaisirs. — Nos ancêtres, ajoute Moïse, célébraient au son du pampirn[2]

  1. Faustus de Byzance, liv. V, chap. XIV et XV, p. 235-237 du texte arménien, édit. de Venise, 1832.
  2. Le pampirn était un instrument de musique qui nous est inconnu aujourd’hui, mais que l’on suppose avoir été une espèce de luth monté de cordes métalliques ou en boyaux, et que l’on frappait avec une baguette ou archet.