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n’avait rien à faire que d’y persister : en continuant ses traditions, elle allait d’elle-même à son but.

Une école cependant s’est élevée, dans la patrie même d’Adam Smith, qui, changeant à la fois l’esprit et les tendances de l’économie politique, lui a ouvert une route entièrement nouvelle. L’économie politique n’est plus pour cette école une science expérimentale ni pratique, prenant le monde tel qu’il est et demandant à l’observation de ce monde, avec la connaissance des lois qui y gouvernent la richesse, le secret d’en augmenter les produits et de les mieux répartir ; c’est une science spéculative, poursuivant, en dehors de toute considération de l’univers réel, physique, moral et politique, l’étude idéale de la plus grande puissance de rendement concevable des instrumens producteurs de la richesse et de la distribution la plus parfaite qui se puisse imaginer de ses fruits. Ricardo, il y a trente ans, donna dans ses Principes les premiers exemples qu’on eût encore vus de cette manière d’envisager et de traiter l’économie politique. Presque tous les économistes anglais depuis ont marché sur ses traces, et aujourd’hui on aurait peine à en citer un de quelque autorité qui s’en écarte. La célébrité s’est attachée au contraire aux écrits et aux noms de la plupart des partisans de l’école nouvelle, et ses maximes à présent sont vulgaires en Angleterre. Parmi les maîtres contemporains les plus dignes de la représenter, M. John Stuart Mill paraît tenir et mériter le premier rang. La renommée d’économiste et d’économiste spéculatif est une affaire de tradition chez M. Mill. M. James Mill, son père, a laissé un abrégé estimé de la doctrine de Ricardo. M. Stuart, dans des Essais et des Principes qui passent, au jugement de nos voisins, pour ce que l’école économique aujourd’hui dominante chez eux a produit jusqu’ici de plus fort, en a récemment exposé et appliqué les principes avec une clarté et une rigueur en effet des plus remarquables, et l’on trouverait difficilement, dans le nombre infini de publications de tout genre qu’a mises au jour depuis Ricardo l’économie spéculative, un traité qui, comme les Essais, en fît mieux connaître la méthode, et qui, comme les Principes, en révélât plus hardiment la portée.

L’économie politique, selon M. Mill et toute l’école au nom de laquelle il parle, est par excellence une science de raisonnement. Elle n’observe pas, elle raisonne, et raisonne nécessairement (it reasons, and as we contend, must necessarily reason). Elle ne se fonde pas sur des faits, mais sur des suppositions (from assumptions, not from facts), et, à l’exemple des autres sciences abstraites, son édifice entier repose sur des hypothèses (it is built upon hypotheses). L’homme n’est pour elle un être ni moral, ni raisonnable, ni sensible ; c’est un être purement économique, si l’on peut ainsi dire, que sa nature ne pousse qu’à deux choses et y pousse invinciblement : produire la richesse et la