Page:Revue des Deux Mondes - 1852 - tome 14.djvu/279

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

en détourne le cours et lui creuse sur le sol qu’il habite un lit artificiel dont il ne le laisse sortir que par les canaux qui lui conviennent. Telle est l’image de l’économie politique aux mains de l’école anglaise. Elle était le patrimoine scientifique et pratique du genre humain ; l’école anglaise en a fait la théorie idéale et l’instrument dominateur des intérêts d’une nation. Chose étrange ! les sciences ont-elles donc une patrie, et peuvent-elles ainsi avec justice se teindre du génie et s’inspirer des besoins d’un seul peuple ? Y a-t-il une chimie anglaise, une géologie anglaise, une physique anglaise : par quel privilège y aurait-il davantage une économie politique anglaise ?

Nous terminerons ici cet examen scientifique de la théorie de l’école spéculative. L’étude des tendances pratiques de cette école et des conséquences qu’entraîne l’application de ses maximes présente un champ nouveau qu’il est intéressant de parcourir. On y peut entrer sans crainte d’erreur. L’intelligence et l’appréciation des conséquences d’un système sont choses faciles quand on vient d’en juger les principes.


II

On croit beaucoup trop généralement que le domaine des sciences est un pays où l’imagination peut se donner carrière sans péril. C’est un préjugé. Il n’est pas d’erreur indifférente : toute science a une action sur les esprits et par là une influence quelconque sur les faits. La plus inoffensive elle-même en apparence peut contribuer à jeter dans le monde un certain nombre d’idées fausses qui tôt ou tard y prennent leur place et y font leur chemin et leurs ravages. Qui eût dit que les rêveries métaphysiques de Spinoza agiteraient jamais toute une société ? Il meurt ; un siècle durant on l’oublie. Tout d’un coup son nom reparaît avec un éclat extraordinaire : son Dieu devient celui de Lessing et de Goethe, et voilà l’Allemagne panthéiste. L’économie politique assurément, par la nature des objets dont elle s’occupe et des problèmes qu’elle soulève, est dans des conditions d’action et d’influence bien autrement favorables que la métaphysique. Aucune de ses théories, alors même qu’elle les décore du nom de spéculations, n’est in différente aux particuliers ni aux états, car c’est toujours du plus grand bien-être de ceux-ci et de ceux-là qu’elles disputent, et rien ne les touche les uns et les autres de plus près. À toute force, on pourra bien concevoir une philosophie transcendante du vrai ou du beau qui n’intéressera exactement qu’une certaine aristocratie très restreinte de beaux esprits, mais qu’est-ce qu’une philosophie contemplative de la rente, des profits, des salaires et de l’impôt, qui ne serait bonne qu’à charmer les loisirs d’un petit nombre de rêveurs ? L’économie politique, il est funeste de s’y tromper, est une science sur la brèche : quand elle parle,