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Nous comprendrions qu’à cet exemple une école de rêveurs se fût élevée, qui, séduite par une vue chimérique, mais généreuse, du plus sublime emploi possible de l’économie politique, eût imaginé d’en faire la science idéale du plus grand bien commun de toutes les nations du globe : c’eût été un roman, mais le roman du bonheur universel. L’école anglaise, ainsi que nous venons de le voir, est partie de considérations bien différentes. Elle s’est proposé un idéal, il est vrai, et elle a écrit un roman ; mais c’est l’idéal de la politique commerciale et le roman de la grandeur européenne de l’Angleterre. Tendance bien remarquable de l’esprit éminemment positif de cette fière et vigoureuse race d’hommes : lors même qu’un anglais rêve, ce qu’il voit encore en songe, c’est la plus grande prospérité possible de son pays, et il se fait dans son imagination un travail unique qui finit par confondre totalement à ses yeux les intérêts du monde avec les siens ! Cette illusion est certainement sincère ; mais on nous dispensera de prouver longuement qu’elle est vaine. Pour que l’idéal qu’inspirée par la préoccupation exclusive des nécessités de l’Angleterre, l’école anglaise propose aux aspirations de l’économie politique universelle fût désirable aussi bien à Paris, à Bruxelles, à Berne, à Turin, à Berlin, à Vienne, à Constantinople, à Saint-Pétersbourg, à New-York qu’à Londres, il faudrait que les intérêts de Londres et de la nation anglaise concordassent absolument avec les intérêts de toutes les capitales et de toutes les nations du globe ; mais en fait c’est là une thèse insoutenable, et en raison elle est contradictoire. il est impossible, en effet, de supposer que tous les peuples de la terre aient, comme le peuple anglais, intérêt à inonder le monde de produits manufacturés. Dans une telle hypothèse, l’idéal de l’école anglaise se retournerait contre ses principes, car elle suppose un univers vide à fournir, et si toutes les nations étaient par impossible encombrées de richesses, l’univers serait plein.

On voit par tout ceci que l’école anglaise non-seulement a faussé la méthode naturelle de l’économie politique, mais encore qu’elle en a rétréci d’une manière incroyable l’esprit et l’horizon. Laissée à elle-même, l’économie politique chercherait à découvrir par l’expérience les lois communes et différentes qui régissent la production et la distribution de la richesse dans l’univers tel que Dieu l’a fait, et au point de vue des intérêts comparés et également ménagés de toutes les nations du globe. L’école anglaise enlève violemment l’économie politique à ces vastes destinées. D’une science générale, universelle, appartenant dans ses principes à tout être pensant, dans ses bienfaits à tout peuple vivant, elle fait une science particulière, nationale, exclusivement anglaise dans ses maximes, ses tendances et ses résultats. Un fleuve coulait par tout le globe, promenant sous vingt climats l’abondance diversement fécondante de ses eaux : voici qu’un peuple