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Page:Revue des Deux Mondes - 1852 - tome 14.djvu/28

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monde littéraire était en émoi et que des horizons nouveaux s’ouvraient aux imaginations, le jeune poète voyageait ; de 1826 à 1830, il visitait l’Angleterre, l’Italie, et ajoutait de curieux chapitres à son livre, les Bains de Lucques, par exemple, et les Nuits florentines[1]. Dans les intervalles, il séjournait à Lunebourg, à Hambourg, à Magdebourg, où il se liait avec Charles Immermann ; à Munich, où il publiait avec son ami Lindner un journal assez remarqué alors, les Annales politiques. La révolution de juillet produisit sur ce capricieux songeur la même impression que sur l’ame ardente de Louis Boerne ; elle les enivra l’un et l’autre. Quand Louis Boerne passait le pont de Kehl pour entrer en France, son esprit battait la campagne. Il poussait des cris forcenés que ses Lettres nous ont trop fidèlement transmis. Il voyait le drapeau tricolore sur la frontière et la bande rouge flotter du côté de l’Allemagne. « Nous ne voulons que cela, s’écrie-t-il : rouge ! sang ! sang ! Que ne puis-je un seul jour écrire avec de l’encre rouge ! » On saisit ici la différence de ces deux belliqueux esprits. M. Heine aussi est possédé de la fièvre du moment, mais cette fièvre s’exprime en poétiques images. On sent que ce délire révolutionnaire pourra gêner plus d’une fois le libre cours de sa fantaisie, mais que la fantaisie pourtant brisera le joug. « Je suis enivré, écrit-il ; d’audacieuses espérances montent en moi comme un arbre aux fruits d’or dont les folles branches s’élancent en tous sens et s’élèvent jusqu’aux nues. Adieu mes projets de repos ! Je sais de nouveau ce que je veux, ce que je peux, ce que je dois. Je suis le fils de la révolution, et je reprends mes armes que ma mère a bénies avec ses magiques formules. Des fleurs ! des fleurs ! Je veux couronner ma tête pour un combat à mort ! Ma lyre aussi ; donnez-moi ma lyre, que je chante un chant de bataille ! Je sais des paroles semblables aux astres enflammés, des paroles pour brûler les châteaux et pour éclairer les chaumières. Je sais des paroles qui sont des flèches étincelantes ; elles iront jusqu’au septième ciel percer les hypocrites qui se cachent derrière le saint des saints… » Étrange cliquetis d’accens qui se combattent ! Cette confusion, qui est déjà un caractère de ce talent fantasque, va s’accroître de jour en jour. Les généreuses espérances et les clameurs impies, l’enthousiasme et le blasphème se croiseront sur une trame étincelante et fascineront l’esprit inattentif. Méfions-nous désormais, et prenons garde d’être dupes : jusque-là les plus vives témérités de l’humoriste portaient leur correctif avec elles, maintenant, la grace inoffensive semble disparue, l’ironie n’est plus l’élan d’une pensée irréfléchie qui se lance au hasard et revient sur ses pas : elle a je ne sais quoi de contraint et de prémédité ; le poète l’aiguise avec colère. Patience toutefois ! cette fièvre n’aura qu’un

  1. Voyez les livraisons de la Revue du 15 décembre 1832, du 15 avril et du 1er mai 1836