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historique, la meilleure forme de gouvernement possible, et qui, comme fruit de leurs études, proposent triomphalement au genre humain l’adoption de la république universelle. L’erreur philosophique de la donnée première des Principes de M. Mill est flagrante, et il n’est pas besoin d’y insister.

Il est quelque chose de plus intéressant : c’est l’esprit politique de cette donnée. On a déjà pressenti que ce merveilleux système économique, rêvé par l’école anglaise, comme l’idéal auquel l’humanité entière doit aspirer, est le système politiquement le plus favorable à l’Angleterre, c’est-à-dire le système dans lequel elle ne trouverait aucun obstacle à l’écoulement des produits industriels dont elle regorge et à l’arrivée toujours abondante et libre dans ses ports des céréales et des denrées de première nécessité dont elle manque. C’est assurément aux Anglais une chose d’une habileté remarquable, que d’avoir su présenter une théorie qui n’est rien que l’idéal de la politique commerciale actuelle de leur pays comme le but le plus élevé auquel en tout temps l’économie politique de tous les peuples puisse atteindre, et c’est avoir réussi au-delà de toute espérance que d’être parvenu à faire passer dans nombre d’esprits généreux et distingués du continent, à titre de philosophie humanitaire, des idées aussi profondément nationales. Mais, si la conception de la théorie anglaise est d’une incontestable adresse, son but politique est trop clair et trop grave pour ne pas frapper et faire réfléchir les gouvernemens. L’Angleterre se trouve aujourd’hui dans une situation terrible : son alimentation est à la merci de l’étranger. Les révolutions et les guerres l’ont mise en l’état où fut l’Italie ancienne à la chute de la république, et on en peut dire ce que Tacite disait avec douleur de sa patrie : « Britannia externoe opis indiget : vita populi Britanni per incerta maris et tempestatum quotidie volvitur. » L’Angleterre est possédée à un degré unique du sentiment de cette dangereuse dépendance : la pensée l’en assiége et l’en poursuit partout. Aussi non-seulement les projets, mais même les théories économiques que voit naître le royaume-uni sont-elles profondément imprégnées du sentiment du malaise et du péril universel, et ne s’inspirent-elles toutes que de l’idée fixe d’en sortir. De là ce système extraordinaire, — rêvé par la philosophie la plus patriotique et propagé par la diplomatie oratoire et littéraire la plus habile qui furent jamais, — et dans lequel l’école anglaise entend persuader an genre humain que son intérêt idéal est d’aider la Grande-Bretagne à conserver le sceptre des mers et l’empire de près de la moitié du monde. Tout est respectable dans la lutte d’un grand peuple pour le salut de ses destins, et quant à nous, nous en faisons l’aveu, nous admirons jusque dans leur exagération philosophique et pratique les gigantesques aventures tentées par cette fière nation pour sauver une couronne