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qu’elle a portée si long-temps. Notre admiration néanmoins pour la constance et la vigueur des efforts de l’Angleterre ne nous aveugle pas sur le but où ces efforts aspirent. Les intérêts de l’humanité dans la philosophie économique anglaise sont trop visiblement le prête-nom d’intérêts d’un tout autre genre, pour qu’il nous paraisse prudent de nous y méprendre. La philosophie anglaise, sans préméditation aucune, je l’accorde, et par le pur et simple effet du hasard, a trouvé dans le plus grand bien national de l’Angleterre l’idéal du bonheur du genre humain. Un tel exemple est digne non seulement d’être admiré, mais d’être suivi, et il n’est pas de gouvernement dont il ne soit la leçon. C’est à chaque peuple à chercher, de cette façon vraiment patriotique, l’idéal de la prospérité de toute la terre dans son plus grand bien-être particulier. Il n’y a assurément à cela aucun empêchement philosophique ; ce qui est donné pour scientifiquement vrai au point de vue des nécessités d’un peuple le doit être également au point de vue des nécessités de tous les autres. Les gouvernemens peuvent donc marcher sans crainte dans cette carrière : le patriotisme de leur conduite, la théorie anglaise le prouve, est d’une incontestable légitimité philosophique. Il y a mieux : les destinées des nations que ces gouvernemens administrent dépendront de plus en plus dans l’avenir de la manière plus ou moins rigoureuse avec laquelle ils se conformeront, au point de vue de leurs intérêts, à l’esprit et aux exemples de l’école anglaise. L’Angleterre cherche à inonder le monde de ses produits industriels. Le but de cette politique est aussi facile à saisir que sa nécessité. Tributaire du continent pour son alimentation, elle veut, lui renvoyant les chaînes qu’elle en reçoit, le faire, autant que possible, dépendre d’elle en ce qui concerne sa consommation industrielle ; mais nos voisins à cet échange, en parfaits financiers qu’ils sont, gagneraient plus qu’ils ne perdraient. D’abord, leur dépendance alimentaire du continent est une nécessité dans laquelle ils ne se sont mis sans doute que parce qu’ils ne pouvaient faire autrement ; le reste de l’univers ne leur doit rien pour cela, car ils ne lui ont fait aucun sacrifice. En outre, l’histoire est là pour nous apprendre que la subordination manufacturière d’un peuple à un autre est l’inévitable, commencement de sa vassalité politique. En ce qui regarde la France surtout, les conséquences bien connues du traité de 1786 pourraient, s’il en était besoin, suffire à l’éclairer. Ce traité fameux que le génie de Pitt avait surpris à la légèreté sans égale du cabinet de Versailles, et qui arracha à ce grand homme un cri de joie dont retentirent les communes, ce traité qui, au bout de trois ans, en 1789, avait ruiné toute la création industrielle de Colbert, manufactures de soie, de rubans, de faïence, ateliers de sellerie, fabriques d’équipages, etc., qui avait paralysé notre marine marchande au point de rendre Bordeaux désert,