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des choses et des mots ! A quel homme de sang-froid persuadera-t-on que ce soit s’abaisser que d’étudier la nature pour en découvrir les lois ? Lorsqu’il y a soixante ans, à l’époque à peu près où l’économie politique naissait, deux hommes de génie, Lavoisier et Cuvier, fondèrent la chimie et la géologie, en les arrachant l’une et l’autre aux rêveries séculaires de l’esprit de système, et en les ramenant dans cette voie de l’observation où elles ont fait un si hardi chemin depuis, est-ce qu’ils les abaissèrent par hasard ? Est-ce que Lavoisier fit descendre la science à la condition d’art, lorsqu’il détruisit en chimie les derniers vestiges de l’esprit visionnaire des alchimistes ? Est-ce que Cuvier descendit et fit avec lui descendre la science, lorsque, laissant là les hypothèses chimériques, et assurément aussi fort brillantes, de Leibnitz et de Buffon, il demanda à l’observation pure et simple de la stratification des couches du globe l’histoire de sa formation ? Et puis, de quel ciel s’agit-il de faire descendre l’économie politique ? Ce ciel est-il si pur ? ses horizons sont-ils si larges ? cet empyrée imaginaire est-il du moins celui qu’aurait rêvé l’humanité ? Non. Une nation a rêvé l’idéal de sa richesse et de sa grandeur, et elle a dit : Ce sera là le zénith de la grandeur et de la richesse universelles ; mon règne est le but suprême du bonheur du genre humain ! Et c’est de ce ciel exclusif et jaloux que l’expérience, le bon sens et les intérêts de tout le globe trembleraient de faire descendre une science qui s’y consume au détriment de l’esprit humain, au profit de l’orgueil national et de la suprématie politique d’un peuple !

Non ; redescendons sur la terre. Nous y retrouverons avec le bon sens, la justice et l’humanité, le véritable objet et la véritable route de l’économie politique. Laissons là des visions qui n’ont pas même l’excuse d’être purement philosophiques. Prenons et observons la nature telle qu’elle est, telle que Dieu l’a faite, telle que l’expérience la plus vulgaire la révèle, et non pas telle que la rêve une école qui, sous prétexte de l’épurer, la mutile et se l’approprie. Que nous présente l’univers ? Nous présente-t-il un seul marché où, dans une indépendance chimérique de l’espace, du temps, de l’esprit de nationalité et des besoins sacrés que cet esprit engendre, les produits de la richesse affluent et se distribuent suivant un mode imaginaire ? Non ; l’univers nous présente vingt marchés différens et vingt nations rivales ; voilà un premier fait. Ces vingt marchés et ces vingt nations ont des intérêts égoïstes, je prends le mot dans le sens philosophique, c’est-à-dire des intérêts qui dérivent de leur instinct de conservation nationale, de ce qu’on appelle, dans un autre ordre d’idées, le patriotisme, l’amour du sol natal ; voilà un second fait. Ces intérêts, à leur tour, dépendent de la géographie physique et politique du territoire dans les bornes naturelles ou de convention duquel ils sort nés et ils s’agitent ; ils dépendent