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erreurs qu’on y découvrait à la première lecture, rencontra un assez grand nombre d’approbateurs, et la plupart des journaux le répétèrent avec des commentaires plus ou moins malveillans. Ce fut pour les gens du monde une présomption défavorable à M. Libri. Comment aurait-il tant d’ennemis, disait-on, s’il ne l’avait mérité ? Pour rechercher les causes de toutes ces inimitiés, il faut vous dire quelques mots de la vie de l’homme qui en est l’objet.

M. Libri est né dans un pays contre lequel il règne en France des préjugés anciens, qui datent peut-être des guerres du XVe siècle, s’ils ne remontent pas à l’invasion des Gaulois sénonais. Les Italiens nous le rendent bien d’ailleurs, et, comme au temps de Camille, nous traitent de barbares. En Italie, les hommes ont une grande énergie individuelle, mais ils se forment plus mal que ceux du Nord à l’école de peloton. Leurs passions sont ardentes, mais concentrées, et l’habitude de vivre sous des gouvernemens soupçonneux leur donne une circonspection que notre franchise gauloise appelle souvent ruse et duplicité. Benvenuto Cellini dit quelque part qu’en homme de sens il tournait toujours un coin de rue all’largo. Ce mot peint la nation et montre combien elle diffère de la nôtre. Au lieu de tourner brusquement le coin de rue et de se heurter contre des juges qu’il soupçonnait de partialité, M. Libri se défend de loin et nous envoie de Londres les pièces de sa justification. Apparemment qu’il a pris à la lettre cette plaisanterie de Molière : « Les Parisiens commencent par faire pendre un homme, et puis ils lui font son procès. » A-t-il raison, a-t-il tort ? Il y a des autorités pour et contre ; j’y reviendrai plus tard.

M. Libri est donc né en Toscane. Je tiens d’un de ses compatriotes quelques anecdotes sur ses premières années. À l’université de Pise, il se faisait remarquer parce qu’il étudiait sans cesse, et que déjà il recueillait des bouquins. Il était sombre, taciturne, et l’on m’a assuré qu’il n’avait jamais adressé la parole à un seul de ses camarades ; mais il faisait volontiers le coup de poing, lorsque les anciens prétendaient user ou abuser des privilèges que dans toutes les universités les anciens s’arrogent contre les nouveaux.

En 1820, il publia son premier mémoire de mathématiques, qui fit sensation même au-delà des monts, car M. Cauchy écrivit à l’auteur pour le complimenter. À vingt ans, M. Libri fut nommé professeur à la chaire de physique-mathématique de l’université de Pise. Il n’y avait pas un de ses auditeurs qui ne fût plus âgé que lui. Au bout d’un an, il fut contraint par une maladie grave de donner sa démission ; mais le grand-duc, qui l’honorait d’une estime particulière, voulut qu’il eût le titre et les appointemens de professeur émérite, et ce titre est, je crois, le seul qu’il conserve aujourd’hui. Retiré de l’enseignement, il n’en continua ses études qu’avec plus d’ardeur, et je vois, dans