autre côté, on pouvait se demander si les experts offraient les garanties d’expérience nécessaires pour une enquête, car on peut très bien épeler une charte mérovingienne et ne rien entendre à la bibliographie ; vous en jugerez bientôt. Pour moi, je tiens qu’il eût mieux valu confier l’expertise, les recherches techniques, comme dit l’acte d’accusation, à des bibliophiles connus, voire à des libraires ou des relieurs : oui, monsieur, à des relieurs, car plus d’une question de leur compétence était à résoudre.
On raconte bien des choses étranges de cette enquête, le secrétaire de l’accusé forcé, ses papiers, ses livres saisis sans formalité et sans inventaire, nulle précaution prise pour la conservation des pièces à décharge, comme factures, catalogues, etc. Si j’en crois des rapports qui me semblent dignes de foi, des papiers jugés inutiles auraient été jetés au feu, des livres auraient été emportés du domicile de M. Libri et rapportés sans qu’on en tînt note, et avec si peu de soin, que des personnes charitables en ont ramassé dans les escaliers et jusque dans la rue. Les scellés, dit l’acte d’accusation, ont été régulièrement levés et réapposés. Il est fort bien d’avoir fait régulièrement ces deux opérations ; mais si dans l’intervalle l’on a emporté et rapporté des livres, si l’on n’a pas tenu des procès-verbaux exacts, à quoi bon les scellés ?
M. Libri, M. Paul Lacroix, M. Lamporecchi, ont publié des brochures à ce sujet, où ils prétendent que toutes les lois de la procédure ont été violées. Je crois qu’ils se trompent et que tout s’est passé dans les formes ; du moins les descentes de justice dont il est parlé dans Gil Blas ne se passent pas autrement, et sans doute Lesage, ce peintre si fidèle, ne les aurait pas inventées à plaisir. Quoi qu’il en soit, à la suite de l’enquête, un acte d’accusation fut dressé, publié dans le Moniteur (contre l’usage, me dit-on), et M. Libri fut condamné par contumace, le 22 juin 1850, à dix ans de réclusion et aux frais, liquidés à 9,224 fr. 75 cent.
L’accusé, son avocat l’assure, n’avait pas été régulièrement assigné lorsque l’affaire fut portée devant la cour. Je doute que, prévenu à temps et dans les formes, il se fût décidé à comparaître. On dit qu’il eut tort, je le pense aussi ; mais, avant de blâmer le parti qu’il crut devoir prendre, il faut bien connaître l’acte d’accusation. Peu de gens l’ont